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Terrains

Les jardins collectifs, entre nature et agriculture

Les jardins collectifs peuvent-ils renouveler les relations des citadins avec l’agriculture et l’alimentation ? À partir du cas de Montpellier, Pascale Scheromm met en évidence leurs fonctions alimentaire, économique, sociale, mais aussi les investissements différenciés qu’ils suscitent.


Dossier : Nature(s) en ville

Des premiers jardins ouvriers nés en France au XIXe siècle aux jardins familiaux et partagés d’aujourd’hui, les jardins collectifs, nommés ainsi par opposition aux jardins privés individuels, n’ont cessé d’évoluer, mobilisant autour d’eux un ensemble d’acteurs : État, entreprises publiques ou privées, associations... On les divisera ici en deux grandes catégories, les jardins familiaux et les jardins partagés.

Apparus en Allemagne, les jardins familiaux se développent véritablement en France à partir de 1896 sous l’impulsion de l’association « La ligue du coin de terre et du foyer » fondée par l’abbé Lemire, prêtre démocrate chrétien d’origine paysanne et homme politique influent (Dubost 1997). Dénommés également jardins ouvriers, leur objectif est de lutter contre l’alcoolisme et de donner aux ouvriers venus des campagnes une parcelle de terre à cultiver. Faire son jardin revêt alors une dimension autant sociale qu’alimentaire. Le jardin est déjà considéré comme un élément urbain associé à l’épanouissement et au bien-être des citadins. En plein développement pendant les deux guerres mondiales notamment pour pourvoir à l’alimentation des familles, les jardins familiaux voient cette fonction alimentaire perdre peu à peu de son importance après 1945. Ils deviennent alors des espaces de loisir liés à la pratique du jardinage, et sont définis comme « des terrains divisés en parcelles, lesquelles sont affectées à des particuliers y pratiquant le jardinage pour leurs propres besoins et ceux de leur famille, à l’exclusion de tout usage commercial » (article L 561-1 du Code rural).

À la fin des années 1990, une nouvelle forme de jardins collectifs fait son apparition en France, que l’on nommera les jardins partagés [1]. Au cours du premier forum national du jardinage et de la citoyenneté qui s’est tenu à Lille en 1997, le rôle des jardins dans les relations sociales, leur lien à la nature et à l’environnement est fortement affirmé. Les espaces délaissés de New York ou les jardins communautaires de Montréal sont présentés comme des exemples de la réappropriation par les citadins de parcelles à l’abandon. La notion de jardin partagé, au rôle social prépondérant, fait ainsi son apparition en France. Concept plus récent que celui des jardins familiaux, le jardin partagé est « un jardin conçu, construit et cultivé collectivement par les habitants d’un quartier ou d’un village, ayant pour objet de développer des liens sociaux de proximité par le biais d’activités sociales, culturelles ou éducatives et étant accessibles au public » [2]. Son identité se fonde sur des valeurs de solidarité, de convivialité, de lien et de partage entre les générations et les cultures, mais aussi de respect de l’environnement.

Les jardins collectifs se sont ainsi construits dans les villes à la croisée des mouvements citoyens et des politiques d’urbanisme et d’environnement. Ils sont devenus depuis les années 1990 un enjeu de politique urbaine (Guyon 2008).

L’essor des jardins collectifs à Montpellier

Les jardins collectifs de Montpellier, familiaux comme partagés, sont le résultat d’initiatives menées par différents types d’acteurs, associations de jardinage ou d’insertion sociale, particuliers, étudiants, entreprises, et en tout premier lieu par la municipalité (figure 1). Une véritable politique en faveur de la création de jardins collectifs est ainsi lancée en 2004, illustrant l’engouement récent des citadins pour le jardinage.

Figure 1. Les jardins collectifs de Montpellier

Les jardins familiaux ne sont pas une tradition à Montpellier, contrairement à de nombreuses autres villes françaises. Les services municipaux ont décidé de mettre en place un programme dans ce domaine en réponse à une forte demande formulée auprès de la direction « Paysages et biodiversité ». Ces jardins sont constitués de parcelles individuelles livrées clôturées et équipées d’un cabanon, d’un récupérateur d’eau de pluie et d’un composteur. Les baux signés par les locataires sont de trois ans. Des premiers jardins créés en 2004 aux derniers implantés à l’ouest de la ville, Montpellier dispose d’environ 150 parcelles de jardins familiaux réparties sur 3 sites. La ville s’est également impliquée dans la création de jardins partagés, souvent en partenariat avec des associations de quartier ou des partenaires sociaux : association d’insertion ou maisons de retraite. Ces jardins partagés sont gérés par les Maisons de la culture de quartier. Ils sont constitués d’une parcelle unique ou de mini-parcelles attribuées chacune à un jardinier (figure 2). Un des premiers jardins partagés de Montpellier, situé en plein centre-ville, est de ceux-là. Il a été créé suite à un mouvement solidaire des habitants du quartier refusant un projet de zone d’aménagement concertée (ZAC). Un parc a ainsi vu le jour, sous la pression des habitants, ainsi qu’un jardin partagé incluant des parcelles réservées aux enfants des écoles et du centre de loisirs du quartier.

Figure 2. Mini-parcelle de jardinage au jardin partagé « Melina Mercuri » (Montpellier)

© P. Scheromm

Ces jardins collectifs sont donc le résultat d’une demande citadine identifiée et reconnue par la commune, plus importante que l’offre actuellement proposée. Si pour la ville ces jardins sont des outils d’aménagement urbains favorisant le lien social et la préservation de la biodiversité et du paysage urbain, pour les jardiniers interviewés ce sont essentiellement des lieux de nature et de bien-être en ville (Scheromm 2011).

Les jardins collectifs, des espaces où l’agricole dialogue avec l’urbain

Les jardins collectifs sont des lieux pluriels et multifonctionnels, cumulant fonctions alimentaire, économique, environnementale, sociale, d’aménagement urbain, de cadre de vie et de santé (Wegmuller et Duchemin 2010). Ils ont été en particulier étudiés dans les quartiers défavorisés des métropoles, où les enjeux de justice alimentaire et sociale sont saillants (Paddieu 2012). Ils sont présentés, dans la littérature scientifique comme dans les documents de politiques publiques, comme consubstantiels à la ville occidentale. Du fait de l’affirmation de leur rôle social, les municipalités se sont emparées du concept pour offrir à leurs habitants ces lieux de récréation multifonctionnels.

Les jardins ont cependant pour caractéristique première de permettre au citadin consommateur de participer à l’acte de production alimentaire. Si peu de travaux s’intéressent à cette reconnexion du citadin à l’agriculture, ils peuvent être considérés, selon l’expression de J-N. Consales (2000) , comme des « laboratoires territoriaux » où se développe une agriculture urbaine. Afin d’étudier la relation qui s’opère entre le citadin jardinier, l’espace qu’il cultive et les cultures qu’il met en place, nous avons conduit des entretiens compréhensifs dans les jardins familiaux et partagés de la municipalité [3]. L’analyse de ces entretiens démontrent qu’un lien se construit entre le citadin-jardinier et l’agriculture à travers l’acte de production, par le travail de la terre, par une volonté de maîtrise de la nature mobilisant des pratiques techniques (utilisation des semences, de fumier, d’engrais organiques par exemple), par l’expérimentation et par les échanges entre jardiniers qui facilitent l’apprentissage.

Ces entretiens laissent apparaître que les jardiniers élaborent, au travers de leur pratique, une réflexion sur les systèmes de production, voire sur l’agriculture dans son ensemble. Leurs motivations, la nature de leur engagement dans l’activité sont diverses et contrastées. On peut cependant distinguer trois figures de jardiniers. Certains jardinent simplement pour passer le temps. D’autres trouvent dans la pratique du jardinage un moyen d’expression leur permettant d’approcher la nature en contexte urbain. Pour d’autres encore, le fait de jardiner relève d’un véritable engagement dans une pratique agricole, ou plus largement dans la construction d’une société où l’agriculture familiale retrouverait une place de choix. Ces figures se différencient également par leur pratique du jardinage : par exemple, concernant le travail du sol, si le bêchage reste la pratique la plus commune, les jardiniers se rapprochant du troisième profil laissent volontairement leur parcelle en herbe et minimisent le travail du sol (figure 3).

 

Figure 3. Trois conceptions du jardinage (Jardins familiaux des Grands Grès à Montpellier)

Un jardin « terrain de loisir » mixant cultures ornementales et potagères, désherbé sur la totalité de son espace.

Un jardin à vocation potagère où la terre a été soigneusement retournée en vue des plantations.

La parcelle a volontairement été « laissée en herbe » afin de « favoriser l’équilibre du sol, de la faune et la flore ». © P. Scheromm.

L’alimentation des jardiniers est également un élément distinctif. Si tous sont consommateurs de fruits et de légumes, les jardiniers s’apparentant aux deuxième et troisième profils semblent afficher une tendance préférentielle à l’achat de produits issus de l’alimentation biologique.

Ces jardins collectifs urbains se présentent donc comme des lieux médians entre ville, nature et agriculture. Ces micro-territoires, où l’agricole vient dialoguer avec l’urbain sous des formes plurielles, ont de ce fait sans doute un rôle important à jouer dans l’aménagement de la ville durable, une ville qui préserverait des espaces de nature mais aussi des espaces de production alimentaire (Salomon Cavin 2012).

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Pour citer cet article :

Pascale Scheromm, « Les jardins collectifs, entre nature et agriculture », Métropolitiques, 13 mai 2013. URL : https://metropolitiques.eu/Les-jardins-collectifs-entre.html

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