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Transformer le système alimentaire ?

En France, le système alimentaire hérité du XXe siècle pose des problèmes de santé publique et de respect de la biosphère. Comment le transformer ? Ce dossier met en lumière de nouvelles façons d’aménager les villes pour en faire des territoires nourriciers et les adapter aux crises contemporaines.


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En 2021, 14,2 millions de tonnes de produits agricoles et alimentaires ont été importées pour nourrir les Franciliens (Mariasine et al. 2024). Ces aliments ont été produits à une distance plus ou moins lointaine de l’Île-de-France, avant d’être vendus, pour une majorité d’entre eux, à des intermédiaires : grossistes, entreprises de grande distribution, fabricants. Ils prennent en charge la transformation, le stockage et la vente des aliments, dans des commerces ou des restaurants. Ce long parcours occasionne des pertes de matière : on estime que pour 10,3 millions de tonnes de biomasse récoltées en vue d’être consommées, 8,3 sont effectivement ingérées par les citadins (Augiseau 2024). À terme, seule une minorité de ces pertes est recyclée.

Ce circuit complexe peut être désigné comme un système alimentaire. Celui-ci englobe à la fois les étapes comprises entre la production et la consommation, voire la gestion des excrétas humains, et les acteurs qui en régissent le fonctionnement. Les travaux en sciences humaines et sociales consacrés aux systèmes alimentaires analysent donc l’articulation entre ces étapes, sur le plan technique, des jeux d’acteurs et de leurs impacts environnementaux. Le système alimentaire contemporain est intensif et spécialisé, c’est-à-dire qu’il génère des rendements croissants, associés à une faible diversité de plantes et d’animaux. Il est également financiarisé et concentré, dans la mesure où quelques grandes entreprises détiennent une majorité de parts de marché issues du système alimentaire. Il est enfin globalisé, puisqu’il s’appuie sur une circulation internationale des denrées, portée notamment par des firmes multinationales (Rastoin et Ghersi 2010). Cette structuration amène certains chercheurs à parler de dé-territorialisation, pour insister sur la distance spatiale et relationnelle croissante entre les étapes et acteurs de la production, et les consommateurs (Aubry et Chiffoleau 2009 ; Wiskerke 2009). En aval, enfin, les excrétas générés par la consommation sont rarement réintégrés au circuit sous forme d’intrants pour la production et sont rejetés dans d’autres territoires que ceux où ils ont été consommés.

Cette structuration du système alimentaire a partie liée avec l’organisation des villes. Elles sont des pôles de consommation majeurs, qui dépendent d’autres territoires pour assurer leur subsistance (Barles 2017). Cela implique de faire circuler des aliments produits dans des territoires parfois lointains, d’aménager des infrastructures pour rendre cette circulation possible, puis de créer des espaces et des circuits pour les stocker, les transformer et les distribuer. L’approvisionnement influe donc sur l’aménagement des villes, de façon à assurer la circulation des flux de matières générés par l’alimentation, y compris sous la forme de déchets en aval de la consommation. Ce mode de fonctionnement du système alimentaire contribue à la crise environnementale : à travers l’utilisation d’intrants industriels (engrais, pesticides) ou encore le conditionnement et le transport motorisé des aliments, il participe à la diminution de la biodiversité et à la pollution des sols, des milieux aquatiques et de l’atmosphère (Grenier d’Abondance 2020). Les crises sanitaires récentes, et notamment celle liée à l’épidémie de Covid-19, nous interrogent quant à elles sur la capacité du système alimentaire tel qu’il est structuré à réagir à des bouleversements soudains et, notamment, à garantir un accès à l’alimentation aux personnes en situation de précarité (Duru et Le Bras 2020).

Pour répondre à ces enjeux, des collectifs issus de la société civile et certaines entreprises proposent de transformer leurs pratiques pour infléchir le fonctionnement du système alimentaire, tandis que des collectivités territoriales réinvestissent sa régulation en développant des cadres de gouvernance alimentaire (Bognon et al. 2018 ; Brand et al. 2017). Certains cherchent à le re-territorialiser, en rapprochant spatialement et relationnellement les producteurs et les consommateurs urbains. D’autres tentent d’opérer un bouclage des flux liés à l’alimentation, en valorisant les excrétas issus de la consommation aux étapes de production ou de transformation. Des initiatives appréhendent également la transformation du système alimentaire sous l’angle d’une meilleure répartition de la valeur ajoutée et d’une plus grande accessibilité physique et économique à des produits alimentaires frais et de qualité (Muller et al. 2021). Ainsi se dessinent différentes voies pour transformer le système alimentaire depuis les villes.

Ce dossier éclaire les conditions de développement de certaines de ces initiatives, en s’intéressant aux pratiques et aux stratégies d’acteurs de l’aménagement et de l’alimentation qui les portent, les accompagnent ou parfois y résistent, en France tout particulièrement. Il se concentre sur leurs interactions plus ou moins apaisées, conflictuelles ou sélectives, en adoptant deux focales : les projets qui s’appuient sur les outils de l’urbanisme pour faire des villes des espaces nourriciers ; la difficile adaptation du système alimentaire aux crises environnementales et sanitaires contemporaines.

La ville, territoire nourricier

L’agriculture urbaine a longtemps joué un rôle significatif dans l’approvisionnement en denrées périssables (légumes, fruits, produits laitiers), ou dans l’accès à l’alimentation carnée pour les plus démunis (notamment via les clapiers et poulaillers domestiques). Évincée, voire interdite au cours du XXe siècle (en France s’entend, car elle reste bien vivante dans certaines villes des Suds), elle revient sur le devant de la scène à la fin de ce même siècle. La ville peut-elle se nourrir elle-même ? Assurément non. Mais, comme le montrent les textes réunis dans cet axe, elle peut redevenir un lieu de production alimentaire si la question agricole est prise au sérieux et si son déploiement ne se limite pas à la juxtaposition de parcelles productives et de parcelles vouées à de tout autres fins (résidentielles, commerciales, industrielles…). Franck David et Morgane Robert, sur la base des nombreux projets conduits par la SCOP SaluTerre, montrent ainsi que l’autoproduction peut contribuer à la réduction de la précarité alimentaire, mais qu’elle nécessite, très en amont, l’association des habitant·es futur·es cultivateur·ices. Ils insistent aussi sur les limites du saupoudrage agricole en promouvant une réflexion sur les trames nourricières et les paysages alimentaires. Cette nécessaire hybridation entre urbanisme et agriculture est aussi mise en avant par Paula Macé Le Ficher, qui l’analyse à l’échelle d’un projet, celui des fermes de Doulon-Gohards, à Nantes, insérées dans la zone d’aménagement concertée éponyme. Elle montre les tensions qui persistent entre les deux facettes du projet agri-urbain, de même que la recomposition des jeux d’acteurs qu’il exige – non seulement en termes d’acteurs impliqués, mais aussi en termes de relations entre eux –, enfin la transformation des routines aménagistes qu’il nécessite. Le projet analysé, comme celui qui fait l’objet du film documentaire d’Émilie Balteau, montre aussi qu’il est possible, quoique complexe et incertain, d’introduire une activité agricole professionnelle dans les projets urbains. Émilie Balteau rend compte d’une telle expérience conduite dans la ferme de l’Envol à Brétigny-sur-Orge, en banlieue parisienne, et, simultanément, de l’expérience filmique qu’elle a conduite : ces projets (encore) alternatifs inspirent aussi chez les chercheur·es des pratiques scientifiques originales.

Approvisionner et nourrir

La transformation du système alimentaire passe donc également par celle de ses acteurs, de leurs fonctions et de leurs modalités d’interactions. D’un côté, certaines parties prenantes historiques de l’approvisionnement redéfinissent leur rôle et leurs pratiques pour s’inscrire dans une perspective de transition socio-écologique, à l’image de certains acteurs de la distribution commerciale, encore extrêmement minoritaires. De l’autre, les acteurs publics locaux reviennent sur le devant de la scène à travers la construction de Projets alimentaires territoriaux (PAT), mais aussi de dispositifs de financements ou d’accompagnement de projets associatifs et entrepreneuriaux. Les articles rassemblés dans cet axe étudient comment diversification des acteurs et redéfinition de leur rôle se combinent pour transformer, parfois et sous condition, les systèmes alimentaires locaux. Fabienne Barataud revient ainsi sur la co-construction, par des acteurs issus d’horizons différents, de scénarios de reconnexion agriculture-alimentation, à travers un bilan du projet de recherche Torsades. Carla Altenburger étudie quant à elle les conditions complexes de rencontre entre la Ville de Paris et les acteurs de l’économie sociale et solidaire autour d’appels à projets qui visent à valoriser l’alimentation durable. En prenant comme point d’entrée les commerçants indépendants et leurs stratégies d’approvisionnement, Natacha Rollinde montre combien l’accès à ces dispositifs d’accompagnement, publics et parapublics, est largement dépendant d’une redéfinition, par les acteurs de la distribution, de leur rôle dans le système alimentaire. Simon Corne, Antoine Landrieu, Emma Lesouef, Lena Meunier et Léa Weingart montrent enfin comment les acteurs associatifs de l’aide alimentaire se sont organisés pour faire face à la forte augmentation des besoins d’aides lors de la crise du Covid-19. Le recul pris sur cette période leur permet également de dresser un bilan contrasté de la capacité du système alimentaire à opérer des transformations durables vers une plus grande accessibilité, ici marquées par leur caractère réactif et parfois éphémère.

Au sommaire de ce dossier :

La ville, territoire nourricier

Approvisionner et nourrir

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Pour citer cet article :

& & , « Transformer le système alimentaire ? », Métropolitiques , 10 mars 2025. URL : http://www.metropolitiques.eu/Transformer-le-systeme-alimentaire.html
DOI : https://doi.org/10.56698/metropolitiques.2140

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