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Essais

Paris, Lyon, Marseille : la gouvernance métropolitaine entre standardisation et différenciation

La loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPTAM), promulguée en janvier dernier, a institué les métropoles de Paris, Lyon et Marseille. Daniel Béhar analyse ici les modalités et les enjeux contrastés de la mise en œuvre d’une nouvelle gouvernance métropolitaine dans les trois agglomérations.

La perspective métropolitaine n’invite guère à comparer Paris, Lyon et Marseille. À l’échelle nationale, le caractère exceptionnel de la région capitale est presque toujours mis en avant par les politiques comme par les chercheurs (Béhar et Estèbe 1999). Et lorsqu’il s’agit de comparer, ce sont les métropoles de même rang à l’échelle mondiale, Londres ou New York, qui sont privilégiées (Lefèvre 2013). Ainsi, l’objet « PLM » n’est souvent mobilisé qu’à travers des analyses institutionnelles ou électorales (Lévy 2014).

Cette approche comparative nous semble pourtant pertinente [1], en regard non seulement de l’actualité législative, mais aussi de son intérêt heuristique pour analyser les dynamiques de la gouvernance métropolitaine : la prégnance du cadre national et la circulation des modèles d’organisation de l’action publique induisent-elles des formes de standardisation ou, à l’inverse, de différenciation de cette gouvernance (Faure et al. 2012) ? Ce questionnement peut être abordé sous trois angles : l’organisation institutionnelle, la relation à l’État et l’implication des acteurs économiques.

Un formatage institutionnel qui ne résiste pas aux jeux géopolitiques

L’examen des configurations territoriales et géopolitiques de Paris, Lyon et Marseille met en évidence leurs singularités respectives. Alors qu’à Paris le monocentrisme du fonctionnement urbain, polarisé par le poids de la ville-département, s’accompagne d’une fragmentation institutionnelle, à Lyon il a induit un leadership politique de la ville-centre. Au contraire, l’aire métropolitaine marseillaise combine polycentrisme structurel et morcellement institutionnel.

C’est sur cette base que la production législative récente (loi MAPTAM [2]) a développé une logique de standardisation : puisque le « modèle lyonnais » démontrait qu’il était possible d’organiser un gouvernement métropolitain intégré – en allant même jusqu’à y absorber l’institution départementale et ses compétences –, pourquoi ne pas le transposer à Paris et à Marseille ? Certes, les motifs de cette transposition n’y sont pas les mêmes : casser les féodalités à Marseille, démontrer la volonté réformatrice du gouvernement et recomposer la carte politique à Paris (Subra 2014). Certes, le statut retenu pour Lyon (collectivité à statut particulier) est plus intégré que celui de Paris et Marseille (intercommunalité). Certes, les périmètres des trois métropoles sont très disparates [3]. Toutefois, la logique poursuivie est similaire : il s’agit d’instituer un gouvernement intégré d’envergure métropolitaine et de le combiner avec des instances de second rang en interface avec les communes (conseils de territoire à Paris et Marseille, conférences territoriales des maires à Lyon). S’il peut paraître prématuré de porter un jugement sur la mise en œuvre de ce modèle, on perçoit dès à présent que les trajectoires des trois métropoles vont diverger, tant du point de vue de leur organisation interne que de leur positionnement vis-à-vis de l’extérieur.

Sur le premier point, on peut faire l’hypothèse d’une différenciation locale des agencements sur la base d’un même cadre d’intégration gouvernementale. À Paris, le basculement électoral de mars 2014 ne peut qu’amplifier la recherche incertaine d’un équilibre entre une figure « intégrée » et une figure « confédérée » du gouvernement métropolitain. Alors que le débat politique a longtemps opposé ces deux figures, nombreux sont ceux qui estiment que la taille et la complexité du territoire métropolitain rendent impérative leur combinaison. Dans le cas marseillais, l’attention est focalisée, comme à Paris, sur le partage des pouvoirs et des compétences entre les communes, les conseils de territoires et la métropole. Mais on peut penser que l’extension spatiale de cette métropole et la diversité des situations territoriales (pôles urbains, espaces périurbains, grandes plaques économiques…) qu’elle intègre vont plutôt nécessiter des alliances et des coopérations de type « horizontal » entre différents territoires, voisins ou complémentaires. Enfin, si c’est à Lyon que l’application du modèle de gouvernement intégré est la plus probable et consensuelle, il devra sans doute prendre en compte davantage que prévu le niveau intermédiaire des territoires, en raison de la pression communale existante en faveur de politiques métropolitaines plus soucieuses de leur adaptation aux réalités locales.

Cette différenciation va également se jouer vis-à-vis de l’extérieur des trois institutions métropolitaines. À Paris, la répartition des rôles avec la région – tout aussi « métropolitaine » que la métropole – reste à faire. À Lyon, le périmètre restreint de la métropole rend indispensable la montée en puissance du pôle métropolitain [4], d’autant plus que la création d’une grande région Rhône‑Alpes–Auvergne met à l’agenda la question de son élargissement, au-delà de Saint‑Étienne, à son flanc ouest productif en direction de Clermont‑Ferrand. Enfin, en dépit de sa taille exceptionnelle, la métropole Aix–Marseille–Provence devra trouver des modes de coopération avec ses extensions fonctionnelles, tant vers Avignon que vers Toulon.

Le rôle de l’État en facteur commun ?

Si on considère maintenant la question de la place de l’État dans la gouvernance métropolitaine, on pourrait, en première analyse, y voir la preuve d’une singularité du cas parisien. Que l’on insiste sur la montée en puissance des pouvoirs locaux dans la période récente (Gilli 2014), ou au contraire sur le retour du pouvoir central (Béhar 2013), il n’en reste pas moins que dans la longue durée, la question de la région capitale reste une affaire d’État. Cela la distingue-t-elle radicalement des cas marseillais et lyonnais ? Rien n’est moins sûr.

À Marseille aussi, l’impulsion de l’État est décisive (Douay 2013). En effet, la création de l’OREAM [5] et de la « métropole d’équilibre », concomitante du refus de la communauté urbaine par Gaston Defferre (1966), la réalisation de la zone industrialo-portuaire (ZIP) de Fos-sur-Mer (1968), puis le projet d’aménagement Euroméditerranée et enfin Marseille–Provence 2013, capitale européenne de la culture, montrent que c’est « tout contre l’État » que se joue la construction métropolitaine. Toute la question est de savoir si la création – décalquée ensuite à Paris – d’une mission de préfiguration mixte État–élus locaux sera à même de dépasser ce jeu de rôles bien huilé où se combinent plaintes du local, intervention de l’État sur le mode du « pompier », et contestation par les élus. L’État et les acteurs locaux sont-ils en mesure d’engager un cycle nouveau de « co-construction » de l’action métropolitaine marseillaise ?

Le cas lyonnais constituerait sous cet angle plutôt un contre-exemple. L’impulsion ne vient pas de l’État mais, à l’inverse, c’est le consensus entre élus locaux qui, stricto sensu, a « dicté sa loi » à l’État. Mais si ce renversement est possible, n’est-ce pas justement, comme l’affirme Gilles Pinson (Pinson et Galimberti 2013), parce que le « modèle lyonnais » se construit selon une forme de « mimétisme étatique » ? Le Grand Lyon ne peut-il pas être analysé comme un « gargantua technocratique », caractérisé comme l’État par sa « boulimie de compétences » et sa focalisation sur l’investissement et les grands projets ?

La difficile implication des acteurs économiques

Enfin, la troisième dimension de la gouvernance métropolitaine est celle de la place qu’y occupent les acteurs privés. Pourtant, alors même que c’est bien souvent la compétitivité économique qui constitue le ressort de la structuration métropolitaine, les acteurs qui en sont porteurs ne semblent pas véritablement impliqués sur la scène métropolitaine.

Au-delà du registre institutionnel, c’est bien aussi et surtout sous cet angle que le cas lyonnais fait référence. Le fameux « consensus lyonnais » n’est-il pas l’expression d’une implication dans la durée du monde économique dans le développement de son territoire ? Si ce constat n’est guère discutable, c’est en revanche sa dimension métropolitaine qui peut l’être. Autrement dit, le système qui s’est construit à l’échelle de la ville et de l’agglomération lyonnaises a-t-il toujours la même portée ? Le changement d’échelle n’impose-t-il pas une évolution du mode de relation entre sphères publique et privée, ainsi qu’une ouverture du spectre des acteurs économiques mobilisés ?

Cette interrogation trouve un écho particulier à Marseille, où les grands acteurs économiques (consulaires, port…) portent la revendication métropolitaine en exigeant que l’action publique locale se « mette à la hauteur » du potentiel de développement de la ville. Cette mobilisation se fait explicitement en référence au modèle lyonnais et avec les mêmes perspectives : développer une démarche de « city branding » [6] (de type « Only Lyon »), accéder au « top 20 » des métropoles européennes… Mais ce registre d’implication a-t-il du sens alors qu’il semble laisser indifférents les nouveaux acteurs économiques (« la classe créative ») qui sont aujourd’hui au cœur de la montée en puissance métropolitaine de Marseille ?

La situation parisienne illustre, quant à elle, de façon presque caricaturale les difficultés de cette implication des acteurs économiques dans la gouvernance métropolitaine. Le projet économique du Grand Paris porté par la puissance publique semble avoir pour fonction première le marketing territorial (Rio 2014). En effet, les « clusters » spécialisés s’adressent aux investisseurs extérieurs mais ne font pas sens pour les acteurs économiques métropolitains : alors que leurs stratégies de localisation et de coopération considèrent le territoire métropolitain dans sa globalité, ils ont trouvé un dispositif de mise en œuvre plus pertinent avec les pôles de compétitivité. En vis-à-vis, les grands acteurs économiques ont pour la plupart mis en place en leur sein des « missions Grand Paris » sans que l’on sache très bien s’il s’agit de capter les opportunités de marchés que les projets de développement vont générer, ou de contribuer à la gouvernance métropolitaine.

Finalement, quels enseignements peut-on tirer de cette comparaison ? À l’évidence, la singularité des situations de Paris, Lyon et Marseille constitue le support d’une dynamique de différenciation des figures de la gouvernance métropolitaine. Mais cela n’exclut pas des formes de standardisation qui ne sont pas seulement le fait du cadre législatif. Elles tiennent aussi aux processus de circulation, voire de mimétisme, des modèles et des référentiels en vigueur chez les acteurs métropolitains. En cela, la mise en débat du « modèle lyonnais » pour mieux comprendre le Grand Paris ou la dynamique métropolitaine marseillaise mérite d’être renouvelée !

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Pour citer cet article :

Daniel Béhar, « Paris, Lyon, Marseille : la gouvernance métropolitaine entre standardisation et différenciation », Métropolitiques, 22 septembre 2014. URL : https://metropolitiques.eu/Paris-Lyon-Marseille-la.html

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