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Terrains

Chronique d’un banc à l’ombre

Habiter la ville l’été

Passer l’été dans son quartier signifie s’adapter au réchauffement climatique, et chercher la fraîcheur. À travers la chronique dessinée d’un banc à l’ombre, la paysagiste Malou Allagnat observe la façon dont les espaces publics à proximité des logements permettent ou non d’accueillir le quotidien des habitants pendant les grandes chaleurs estivales.

Monique, Claudia, Édith et Alexa habitent depuis dix-sept, trente, cinquante ou soixante ans à Saint-Priest, en périphérie urbaine de Lyon. Elles ont de 78 à 83 ans. Elles viennent d’Algérie, de Crète ou du Portugal et pourtant, ici, « c’est pas la même chaleur ; ici, c’est une chaleur étouffante. Y’a pas d’air ». Ces habitantes se réunissent chaque jour de l’été, à partir de 17 h, sur un banc à l’ombre autour duquel elles recréent leur salon extérieur. Ce mobilier urbain, qui peut paraître anodin, peut être un acteur à part entière (Chabouté 2012) de la vie de quartier l’été. Sur ce banc, on ne vient pas forcément chercher la fraîcheur, mais plutôt les échanges relationnels ; des personnes avec qui supporter la chaleur et ainsi « voir du monde » pour éviter de ruminer l’été. La chaleur peut rythmer les usages des espaces publics, mais la motivation sociale est tout aussi remarquable. On y voit autant des familles n’ayant pas la possibilité de partir en vacances que des personnes âgées en perte de mobilité. En été, lorsque certains quartiers se vident de leurs occupants, ces lieux de proximité constituent pour les habitants restants une bouffée d’air et un souffle social.

Car l’été en ville constitue une saison particulière, marquée par des changements importants d’activités et de populations (Mallet 2014). Cette saison, propice pour certains aux vacances en dehors du quartier, peut constituer pour d’autres un des « temps de la solitude » (Campéon 2011). Dans ce cadre, le banc, en plus d’être un outil relationnel, est gratuit et démocratique (Lebon 2019). Pierre Sansot (1993) le définit même comme un « minimum civique citadin auquel tout homme a droit […] il constitue un droit formel à la vie ».

Dans le cadre d’une thèse en géographie sociale [1], portant sur les inégalités socio-spatiales en périodes de fortes chaleurs, une ethnographie [2] spécifique a été menée autour de ce micro-espace socio-spatial : le banc public.

Le récit du banc à l’ombre se construit à travers les témoignages de ces quatre femmes âgées qui abordent le sujet de la chaleur par l’intermédiaire de leur immobilité, leur âge, l’importance du lien social et de la veille en période estivale… Ces paroles, mises en dessin ci-dessous [3], sont associées à l’ambiance d’une fin de journée d’été où les espaces publics se remplissent, où les habitants des tours alentour investissent peu à peu chaque interstice.

Monique, Claudia, Édith et Alexa, par leur manière d’habiter leur quartier en été, interpellent l’action publique sur un droit à s’asseoir dans l’espace public et, plus largement, à prendre soin des « endroits à deux pas de chez soi qui sont des bouffées d’air » (Monique, 78 ans, Saint-Priest, quartier de Bel-Air). Pourtant, dans les politiques d’aménagement des espaces publics, le banc public tend à disparaître, du fait de la prédominance accordée à la logique sécuritaire de prévention situationnelle (Newman 1973). Cet urbanisme sécurisant vise avant tout à éviter les regroupements, à empêcher les individus de stationner (Landauer 2009). Cette réponse se concrétise par des aménagements qui limitent les pauses et les rencontres dans l’espace public, ce qui peut mener à la suppression des bancs.

Habiter en périodes de fortes chaleurs, et plus largement en période estivale, questionne la manière dont les interactions sociales peuvent être maintenues pendant cette saison propice à l’isolement. Plusieurs études (Klinenberg 2003 ; Browning et al. 2006 ; Bélanger et al. 2016) montrent que la vitalité des commerces de proximité, des équipements publics, des associations ou encore des espaces publics, influence la capacité à faire face aux vagues de chaleur (Poulin et Van Neste 2021). Ainsi, la vie autour du banc à l’ombre peut avoir ce rôle « d’infrastructure sociale » (Klinenberg 2003) et montre l’importance d’espaces de sociabilité de proximité lorsqu’ils véhiculent des qualités de partage et d’inclusivité.
Loin de l’envergure et de la fraîcheur des grands parcs, ces espaces publics « situés à deux pas » peuvent être pourtant, dans un contexte où les étés s’allongent, les épisodes caniculaires s’intensifient et les inégalités socio-spatiales s’amplifient, des espaces ressources d’où émanent « une bouffée d’air », un souffle social nécessaire. Prendre soin de ces interstices, c’est accorder de l’attention à Monique, Claudia, Édith, Alexa et à tou·tes celles et ceux qui n’ont pas la possibilité de fuir la chaleur.

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Pour citer cet article :

, « Chronique d’un banc à l’ombre. Habiter la ville l’été », Métropolitiques , 29 septembre 2025. URL : http://www.metropolitiques.eu/Chronique-d-un-banc-a-l-ombre.html
DOI : https://doi.org/10.56698/metropolitiques.2205

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