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Débats

Production de logements sociaux au ralenti : la crise du logement s’intensifie

Le ralentissement de la production de logements sociaux est l’une des explications de l’intensification de la crise du logement. Coordinatrice d’un réseau de bailleurs sociaux, Pauline Dumontier pointe le rôle joué par la Réduction du loyer de solidarité (RLS), qui a diminué les recettes des bailleurs et fragilisé l’équilibre budgétaire des opérations de construction.

Chaque année, la Fondation Abbé-Pierre – désormais Fondation pour le logement des défavorisés – lance un cri d’alerte sur les enjeux du mal-logement, à l’occasion de la publication de son rapport annuel. Alors que la fondation estime à 12 millions le nombre de personnes fragilisées par la crise du logement [1], l’écho médiatique et politique accordé à cette problématique, pourtant centrale pour le quotidien des Français, n’est pas à la hauteur.

Le chiffre le plus préoccupant est sans doute celui du nombre d’enfants qui dorment dans la rue chaque nuit faute d’alternative : ils et elles sont plus de 2 000. Les équipes du 115 font à ce sujet part d’une situation inédite, dans la mesure où elles se retrouvent à demander l’âge des enfants aux familles qui les sollicitent, contraintes de faire un tri inhumain pour prioriser les enfants en bas âge. Les services d’accueil d’urgence sont ainsi de plus en plus démunis, alors même qu’environ 100 000 places d’hébergement ont été créées depuis 2018.

Une hypothèse avancée par la Fondation pour le logement des défavorisés pour expliquer cette situation dramatique repose sur l’état de saturation du logement social, qui ne permet plus de désengorger les structures d’hébergement. Le nombre de ménages éligibles au parc social ayant une demande en cours et à jour a dépassé le seuil des 2,5 millions depuis deux ans. On estime désormais à cinq ans le temps d’attente moyen pour obtenir un logement social. Ces chiffres alarmants résultent à la fois de besoins croissants et d’une offre insuffisante. On constate en effet un net ralentissement de la production de logements sociaux, dont on commence tout juste à mesurer les effets.

La demande de logement social augmente plus rapidement que l’offre

Sur les 2,7 millions de demandeurs de logement social en 2024, 870 000 sont déjà dans le parc social. Il s’agit de locataires qui souhaitent une mutation pour obtenir un logement qui réponde mieux à leurs besoins, le plus souvent suite à un changement de situation familiale. La part des demandes pour mutation a toutefois tendance à baisser dans le temps, ce qui signifie qu’elles augmentent moins vite que les demandes émanant de personnes externes au parc social. Aujourd’hui en France il y a ainsi plus d’1,8 million de personnes qui attendent de se voir attribuer un logement social.

Figure 1. Évolution du nombre de demandeurs d’un logement social

Source : Système national d’enregistrement des demandes de logement locatif social.

Dans un contexte inflationniste, trouver un logement en adéquation avec leurs ressources devient un défi impossible pour une part croissante des Français. On considère que le taux d’effort – c’est-à-dire la part des revenus mensuels consacrée au logement – ne doit pas dépasser 30 % pour que la situation budgétaire d’un ménage reste soutenable. Or, cette limite est en moyenne franchie pour la moitié des ménages logés dans le parc locatif privé et le taux d’effort atteint même 45 % pour les 25 % les plus précaires ; alors qu’il reste sous ce seuil symbolique des 30 % pour les ménages du parc social, y compris pour le premier quartile [2]. Se loger dans le privé s’avère en particulier délicat pour les personnes célibataires et les familles monoparentales, surreprésentées parmi les demandeurs et les locataires du parc social.

Alors que la pression sur la demande est de plus en plus forte, les attributions de logements sociaux sont en baisse constante depuis dix ans. En 2023, ces attributions passaient sous la barre des 400 000, contre 500 000 en 2015. 80 % des logements qui sont attribués chaque année aux ménages demandeurs sont issus du parc HLM existant. Il s’agit de logements qui se libèrent après le départ de locataires. Or, les locataires du parc social sont de moins en moins nombreux à quitter leur logement : le taux de rotation est passé de 10 % en 2018 à 7 % en 2024, ce qui contribue à gripper le système. À cette baisse des départs s’ajoute le ralentissement de la production de nouveaux logements sociaux, qui alimentent les 20 % restants des emménagements dans le parc social.

On mentionne souvent le nombre de logements financés pour caractériser la production de logement social, mais le nombre de logements mis en service rend mieux compte de la production réelle, indépendamment des projets avortés. L’indicateur le plus pertinent reste la croissance nette du parc social, qui tient compte des logements démolis et vendus, qui représentent 20 000 logements qui sortent du parc HLM chaque année.

Figure 2. Production annuelle de logements sociaux

Source : USH, « Les HLM en chiffres », 2024.

Si l’on regarde cette croissance nette du parc social, on s’aperçoit qu’on est très loin des objectifs officiels de production, compris entre 100 000 et 150 000 logements par an. Sachant que selon un rapport réalisé par le cabinet HTC pour l’Union sociale pour l’habitat [3], pour répondre aux besoins démographiques tout en résorbant le mal-logement, il faudrait revoir à la hausse cet objectif de production en le rapprochant des 200 000 logements sociaux par an jusqu’en 2040. Ce n’est évidemment pas avec une production nette située autour de 50 000 logements sociaux par an que nous pourrons résorber le volume de demandes en attente.

De multiples facteurs découragent la production de logement social

Les professionnels de l’habitat social constatent unanimement une explosion des coûts de construction ces dernières années. Le coût de production d’un logement social est ainsi passé de 2 000 euros à 2 500 euros HT par m² en moins de quatre ans [4]. Cette hausse de 25 % s’explique en grande partie par l’augmentation massive du coût des énergies provoquée par la guerre en Ukraine. Mais le ralentissement de la croissance du parc social avait démarré avant cette envolée des prix. Ainsi, les acteurs pointent également souvent les freins à la construction que constituent les contraintes réglementaires – avec le niveau d’exigence des normes de construction – et les enjeux liés au foncier (disponibilité insuffisante et augmentation des coûts d’acquisition des terrains). Mais tous ces facteurs masquent une autre réalité, qui tient dans l’évolution de la situation économique du secteur HLM.

Depuis 2018, les bailleurs sociaux ont en effet vu leurs chiffres d’affaires amputés avec la mise en place de la Réduction de loyer de solidarité (RLS), le gouvernement ayant décidé d’une réduction des APL spécifique au parc social, avec une baisse autour de 60 euros par mois par locataire touchant cette aide sociale.

Tous les organismes de logement social ont ainsi été contraints de baisser leurs loyers d’un montant équivalent, pour que cette mesure soit neutre pour les locataires du parc HLM. En sept ans, c’est de plus de 8 milliards d’euros de recettes dont ont été privés les bailleurs sociaux ! Dès 2021 pourtant, la Cour des comptes [5] avait alerté sur le fait que la RLS constituait « une perte nette de recette locative pour les bailleurs », qui réduisait les capacités financières des bailleurs sociaux, avec un risque de ralentissement des investissements. La Caisse des dépôts avait partagé ce constat, à savoir que si les bailleurs sociaux ont globalement réussi à absorber la RLS, ils « ont réagi à la diminution de l’autofinancement en réduisant leurs investissements [6] ».

Si les capacités de financement des bailleurs sociaux sont aussi déterminantes, c’est parce que, contrairement aux idées reçues, le financement du logement social ne repose pas majoritairement sur des subventions. Alors que le coût de la construction a plus que doublé en vingt ans, le montant des subventions est quant à lui resté le même et leur poids dans le financement du logement social est passé de 14 % à 7 %.

Figure 3. Évolution du financement de la construction de logements sociaux

Source : USH, « Les HLM en chiffres », 2024.

La production de logements sociaux est avant tout financée par des emprunts mobilisés par les organismes HLM (principalement auprès de la Caisse des dépôts) et de plus en plus par les fonds propres des bailleurs. Que l’on demande désormais aux bailleurs de consolider leur modèle économique pour assurer leur pérennité sans dépendre de subventions, soit. Mais depuis quelques années les équilibres d’opérations sont délicats à trouver. Lorsqu’un bailleur social se lance dans une opération de construction, il se projette sur cinquante ans et s’assure qu’à cet horizon il aura touché autant de recettes (loyers) qu’il aura réalisé de dépenses, notamment pour rembourser l’emprunt. D’autant qu’avant même de finir de rembourser ce prêt initial, il devra sans doute emprunter de nouveau pour réhabiliter ce patrimoine. Aujourd’hui les bailleurs sont amenés à prendre la décision délicate de lancer des opérations pour lesquelles l’équilibre d’opération sur cinquante ans est négatif, ce qui signifie que construire leur fait perdre de l’argent. Et la RLS n’y est pas pour rien, car elle vient amputer les futures recettes de loyers. Cette tendance est inédite et pourrait mettre en péril, si elle s’installe, la pérennité d’un modèle qui s’était jusqu’ici toujours démarqué par son incroyable robustesse.

Le logement social est un secteur à but lucratif limité, ce qui signifie que les bénéfices des bailleurs sociaux ont vocation à être réinvestis, sur la production de logements ou sur le patrimoine actuel. De nombreux organismes HLM attendent des jours plus favorables pour la construction et réorientent leurs investissements sur la rénovation de leur parc. Isoler son patrimoine n’apporte pas plus de rentabilité à un organisme de logement social, mais c’est un enjeu patrimonial fort, la réglementation prévoyant une interdiction progressive de louer les logements considérés comme des passoires thermiques. Ces réhabilitations sont vertueuses car elles permettent à la fois de réduire les consommations énergétiques des locataires et de limiter les émissions carbone du parc. La précarité énergétique, qui touche 3,5 millions de ménages en France [7], recule au sein du parc social et c’est une bonne nouvelle.

Figure 4. Répartition du parc social et privé en matière d’étiquettes énergétiques (DPE)

Source : USH, « Les HLM en chiffres », 2024 ; Service des données et études statistiques, « La performance énergétique du parc locatif privé au 1er janvier 2023 ».

On ne peut que se féliciter de l’ampleur des moyens mobilisés pour améliorer les performances énergétiques du parc social, bien meilleur élève que le secteur privé en matière de transition. Mais cette tendance ne fait que renforcer les inégalités entre les ménages logés dans le parc social et le parc privé. Les locataires du privé sont ainsi confrontés à une double peine : des loyers plus chers (225 euros par mois de plus en moyenne que dans le parc social [8]), qui s’accompagnent de charges plus élevées, qui pèsent d’autant plus avec les récentes augmentations du prix du gaz et de l’électricité.

Priver les bailleurs sociaux d’une part de leurs ressources a fait des victimes collatérales

La ponction instaurée sur les ressources des bailleurs sociaux avec la RLS a profondément impacté le logement social. Le niveau de complexité de cette réforme l’a rendue incompréhensible pour le grand public, qui n’a pas pu prendre conscience qu’on avait affaibli un secteur qui constitue pourtant un rempart structurel contre le mal-logement. On ne produit aujourd’hui plus assez de logements sociaux pour répondre aux besoins des ménages privés de logement ou logés dans de mauvaises conditions (habitat indigne, précarité énergétique ou logement trop cher tout simplement).

La RLS n’est pas le seul facteur qui a affecté la santé financière des bailleurs sociaux ces dernières années. Elle compte pour un tiers aux côtés de l’augmentation des taux d’intérêt (qui mécaniquement impacte le coût de leurs dettes) et la hausse de la taxe foncière (TFPB). Dans ce contexte, la suppression ou a minima une baisse significative de la RLS apparaît comme le levier le plus simple à activer pour améliorer la situation et encourager les investissements en faveur de la production de logements sociaux. Le gouvernement vient d’ailleurs de décider d’une baisse de la RLS pour 2025, cette ponction étant ramenée désormais à 1,1 milliard par an au lieu de 1,3. Si le secteur HLM accueille avec soulagement ce premier virage, il est néanmoins loin d’être suffisant pour redresser la barre.

Le logement social tend à être perçu par le gouvernement comme une dépense alors qu’il devrait être considéré comme un investissement, nécessaire pour répondre aux besoins des Français et rentable grâce aux taxes foncières qu’il rapporte. Il présente également un autre intérêt, celui de garantir un socle de stabilité pour le secteur du BTP. Le logement social présente en effet la particularité d’être contracyclique, c’est-à-dire qu’il est censé être suffisamment robuste pour ne pas être impacté en cas de crise économique. Ainsi, lors de la crise des subprimes de 2008, le secteur HLM a sécurisé de nombreux promoteurs en rachetant leur production initialement destinée à la vente pour produire du logement social. Aujourd’hui, les promoteurs sont de nouveau en difficulté financière – comme l’illustre le plan social initié par Nexity – et les bailleurs sont fortement sollicités pour venir à leur secours en rachetant des opérations. Mais leur situation économique n’est plus la même qu’en 2008...

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Pour citer cet article :

, « Production de logements sociaux au ralenti : la crise du logement s’intensifie », Métropolitiques , 24 avril 2025. URL : http://www.metropolitiques.eu/Production-de-logements-sociaux-au-ralenti-la-crise-du-logement-s-intensifie.html
DOI : https://doi.org/10.56698/metropolitiques.2161

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