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Débats

Entre ville et agriculture, une proximité à reconstruire

L’agriculture de proximité suscite aujourd’hui un engouement certain auprès de nombreux citadins. Les « circuits courts » et le maraîchage peuvent-ils constituer le point de départ d’une nouvelle organisation des territoires agricoles périurbains ? Roland Vidal revient sur l’histoire et les fonctions des espaces agricoles franciliens : récusant l’idée selon laquelle les circuits courts permettraient de réduire l’empreinte écologique, il invite à reconstruire sur d’autres bases les liens de proximité entre ville et agriculture.

L’agriculture francilienne devrait-elle être reconçue de sorte à nourrir les Franciliens tout en réduisant l’empreinte écologique d’un marché globalisé qui gaspille de l’énergie en transportant inutilement les denrées alimentaires ? Cette idée, très en vogue et apparemment fort logique, ne va en réalité pas de soi. L’histoire de l’agriculture francilienne, de ses relations spatiales et fonctionnelles avec la capitale, est en effet révélatrice d’une évolution qui contredit largement les rêves d’autosuffisance alimentaire des citadins. C’est cette évolution qu’il importe de mieux comprendre afin de redessiner l’avenir de l’agriculture francilienne et de construire de nouvelles relations de proximité entre le monde urbain et le monde rural.

La fin de la ceinture maraîchère

Pour la ville du XIXe siècle, l’agriculture de proximité était celle qui fournissait les denrées périssables, nécessairement cultivées à faible distance des lieux de consommation. Les paysages qu’elle composait étaient principalement ceux du maraîchage et des vergers. L’autre agriculture, celle qui produisait le blé et constituait les paysages de la campagne, était beaucoup plus éloignée. C’était le territoire des paysans, ceux qui restaient à l’écart de la culture urbaine, de la civilisation. Entre les deux, occupant une zone intermédiaire qui prit la forme de cette ceinture horticole décrite par von Thünen, l’espace des maraîchers remplissait un rôle de transition à la fois spatial et social : spatial, car son organisation en parcelles de petite dimension s’imbriquait facilement dans le tissu urbain ; social, car le maître-maraîcher, « rural par son travail », était aussi « urbain par son habitat et son organisation corporative » (Phlipponneau 1956). Or l’évolution des modes de transports et l’invention de la réfrigération ont progressivement recomposé sur d’autres bases cette organisation spatiale des régions urbaines. Transportées d’abord par le train puis par la route, les denrées périssables ont pu être produites plus loin et la ceinture horticole a petit à petit cédé la place à l’étalement urbain. Si bien que la ville se retrouve aujourd’hui en contact direct avec des paysages agricoles qui ne sont plus les mêmes que ceux d’autrefois.

Parallèlement à la modernisation des transports, celle de l’agriculture a eu pour conséquence une diminution considérable de la population qu’elle employait et a nourri ainsi un exode rural qui a entraîné une augmentation massive de la population urbaine. Les villes se sont étendues en proportion et, après avoir occupé l’espace libéré par le maraîchage, elles ont entamé celui de l’agriculture céréalière. Cette dernière, avec une productivité dont la croissance a été exponentielle tout au long du XXe siècle, a largement assuré l’alimentation des populations des pays développés. Le spectre de la famine a disparu, et avec lui le souci de préserver les bonnes terres agricoles dont, d’ailleurs, la valeur foncière a constamment diminué en regard de celle du foncier urbain. Libérée de ses contraintes spatiales, la ville qui se resserrait autrefois derrière ses remparts s’est mise à adopter des formes tentaculaires et peu économes en espace, celui-ci, occupé par les grandes cultures, étant considéré comme une simple réserve foncière. Si bien que la frange qui sépare l’espace urbain de l’espace rural a pris des proportions sans commune mesure avec ce qu’étaient les limites urbaines du XIXe siècle.

La manière dont on peut envisager de les traiter aujourd’hui ne peut donc pas se réduire à la reconstruction de l’ancienne ceinture horticole. Le maraîchage n’a pourtant pas entièrement disparu de la périphérie urbaine. En Île-de-France, il occupe encore 0,8 % de la surface agricole (IAU-CRCI-INSEE 2009), même si une bonne partie de cette surface est consacrée à des cultures de grande échelle, comme ces laitues destinées au marché européen et dont l’Île-de-France est l’une des principales régions productrices. Il reste néanmoins quelques producteurs locaux, alimentant surtout des marchés à haute valeur ajoutée situés dans les zones urbaines favorisées ou s’inscrivant dans de nouveaux circuits de distribution. Cette forme relictuelle de maraîchage urbain peut-elle être le point de départ d’une nouvelle organisation des territoires telle que l’imaginent les locavores ?

Les raisons de la délocalisation agricole

Pour séduisante qu’elle soit, cette idée doit en fait être étudiée de près, car les raisons pour lesquelles on transporte les denrées ne sont pas toutes de même nature. Lorsqu’on délocalise les cultures exigeantes en main-d’œuvre vers les pays où celle-ci est moins chère, c’est l’efficacité financière du processus qui domine, au détriment de l’impact environnemental. C’est notamment le cas des fruits dont la récolte n’est pas mécanisable, comme les framboises ou les cerises, mais c’est aussi le cas des produits biologiques, pour lesquels le travail manuel remplace les traitements phytosanitaires. Dans tous les cas, le bilan écologique est négatif parce que les distances sont grandes et que les denrées, généralement fragiles, voyagent majoritairement en avion. Mais lorsqu’on délocalise des cultures à faible rendement pour les produire dans des régions situées à quelques centaines de kilomètres et où les sols et les climats sont plus favorables, l’énergie dépensée en transport est largement compensée par celle économisée à la production. C’est le cas de nombreux fruits et légumes produits dans l’Ouest ou dans le Sud de la France et consommés à Paris. Ici, l’efficacité économique, qui a motivé nombre de délocalisations agricoles depuis plus d’un siècle, se double d’une efficacité écologique : l’écologie d’échelle rejoint l’économie d’échelle (Schlich et al. 2006). Pourtant, la mode des locavores s’installe de plus en plus dans les discours et transparaît dans de nombreux projets d’aménagement. On pourra s’interroger, d’ailleurs, sur le fait que les locavores s’intéressent à ce qu’ils mangent mais ne prêtent guère d’attention aux productions industrielles qui, pourtant, représentent 70 % des marchandises transportées alors qu’elles sont indépendantes des sols et des climats…

Quelle proximité pour l’agriculture contemporaine ?

Cette volonté de retrouver une agriculture nourricière à proximité de la ville, au-delà d’une médiatisation qui tend à lui donner une justification écologique conforme aux slogans incantatoires du développement durable, trouve probablement son origine ailleurs. Les paysages de l’agriculture qui côtoient la ville étalée d’aujourd’hui ne répondent sans doute pas aux attentes des citadins, et les agriculteurs, de moins en moins nombreux sur leurs terres, ne remplissent pas le rôle de lien social que les maîtres-maraîchers jouaient autrefois. La proximité entre la ville et l’agriculture doit donc être reconstruite sur des bases différentes. Aux petites fermes d’autrefois succède maintenant l’immensité des champs de blé. Et bien qu’ils soient les meilleurs garants de ces espaces ouverts tant convoités, ces paysages de grande culture sont pourtant mal aimés des citadins d’aujourd’hui qui n’ont tout simplement pas appris à les connaître et à les apprécier. Un beau champ de blé, c’est d’abord un champ productif qui assurera l’alimentation des hommes durant l’année à venir. Mais cette esthétique-là, à laquelle nos ancêtres ont été sensibles durant des millénaires, est aujourd’hui mise à mal par un marché agro-alimentaire qui valorise d’un côté l’agriculture à l’ancienne et de l’autre les aliments à faible teneur en calories. C’est le regard qu’il faut reconstruire, plutôt que la réalité d’un paysage agricole qui ne redeviendra jamais ce qu’il était avant. Quant au lien social qui permettrait au monde citadin de mieux comprendre le monde agricole, c’est par une autre forme de proximité qu’il faut l’envisager. Une proximité qui ne se mesurerait pas en kilomètres mais à l’aune d’une relation de confiance qui peut très bien se construire entre des agriculteurs et des citadins qui ne seront pas forcément des voisins. C’est cette « proximité organisée » (Rallet et Torre 2004) qu’il faut construire aujourd’hui, tout en acceptant que l’agriculture que l’on a sous les yeux réponde à d’autres enjeux situés, qu’on le veuille ou non, à l’échelle d’un marché mondialisé depuis longtemps.

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IAU-CRCI-INSEE. 2009. Chiffres-clés de la Région Île-de-France, Paris : Institut d’aménagement et d’urbanisme.

Phlipponneau, M. 1956. La vie rurale de la banlieue parisienne. Paris : Armand Colin.

Rallet, A. et Torre, A. 2004. « Proximité et localisation », Économie rurale, n° 280.

Schlich E. et al. 2006. « La consommation d’énergie finale des différents produits alimentaires, un essai de comparaison », Courrier de l’environnement de l’INRA, n° 53.

Serres, M. 2006. « Science, biodiversité, écologie et mondialisation », conférence au colloque annuel du Forum de l’agriculture raisonnée respectueuse de l’environnement (Farre), Paris, 11 janvier.

Pour citer cet article :

Roland Vidal, « Entre ville et agriculture, une proximité à reconstruire », Métropolitiques, 18 avril 2011. URL : https://metropolitiques.eu/Entre-ville-et-agriculture-une.html

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