Accéder directement au contenu
Débats

Emplois aidés : menace sur les services non marchands

Les coupes budgétaires massives dans les contrats aidés suscitent de vives inquiétudes. Accentuant la pression sur les collectivités locales et fragilisant un secteur, l’économie sociale et solidaire, qui assume un nombre croissant de services sociaux et de santé, elle met en péril les services publics et la solidarité sociale qui repose sur eux.

Pressé par l’impératif de diminution des dépenses publiques pour réduire le déficit public en deçà de la norme européenne des 3 %, le gouvernement a annoncé, en pleine torpeur estivale, des coupes importantes dans le financement de différents programmes de contrats aidés (Bernard et Rey 2017), dont en particulier le dispositif des « contrats d’accompagnement dans l’emploi » dont le budget a été divisé par deux par rapport au second semestre 2016 (Godin et Jardinaud 2017). Ce programme concerne étroitement le monde associatif qui est un employeur historique de ces contrats (Hély 2012), aux côtés de collectivités territoriales confrontées à des contraintes financières croissantes. En effet, le développement de l’emploi associatif doit beaucoup à ces politiques de l’emploi (Colomb 2012) qui ont été expérimentées, sous différentes formes, depuis le début des années 1980 avec les « travaux d’utilité collective » (Marchal 1986). Selon l’Atlas 2017 de l’ESS, les contrats aidés représentaient ainsi plus de 8 % de l’emploi associatif en 2014, contre 4 % dans le secteur public et 0,3 % dans le secteur privé hors économie sociale et solidaire [1] (ESS). Ces données confirment la particularité de cette relation d’emploi, où les salariés inscrits dans ces programmes sont considérés comme des « bénéficiaires d’une mesure d’insertion », qui représente aussi une forme indirecte de soutien financier de la part de l’État au monde associatif.

Les collectivités locales sous pression budgétaire

Or, le contexte dans lequel ces ajustements budgétaires sont réalisés s’inscrit dans une conjoncture inédite marquée par une diminution, désormais structurelle, du nombre total d’agents de la fonction publique. Si cette tendance était bien connue pour la fonction publique d’État, force est de constater qu’elle affecte désormais la fonction publique territoriale : selon une étude récente, fin 2015, ses effectifs (hors bénéficiaires de contrats aidés) diminuent de 0,3 %, soit une perte de 5 300 agents. Une telle baisse est inédite, soulignent les auteurs, qui relèvent que jamais « depuis 1980 » une telle évolution n’avait été mesurée et qu’elle intervient « dans un contexte de diminution de la dotation globale de l’État aux collectivités locales et de recomposition des structures intercommunales » (Yaya Ba et Duval 2007).

Ajoutons que les collectivités doivent assumer une part de plus en plus importante des dépenses publiques – notamment les prestations sociales : allocation personnelle d’autonomie (APA), prestations sociales et revenu de solidarité active (RSA) – tout en étant confrontées à une contraction des ressources (à la réforme de la taxe professionnelle intervenue sous le quinquennat Sarkozy, il faut ajouter la suppression annoncée de la taxe d’habitation pour une part importante des contribuables). Enfin, rappelons que, depuis le début des années 1980, la part des dépenses des « administrations publiques locales » dans la dépense publique globale est passée de 16 % à plus de 20 %.

L’économie sociale et solidaire : acteur montant du service public

Concomitamment, l’emploi dans le monde associatif a triplé, passant d’environ 600 000 salariés au début des années 1980 à près de 2 millions aujourd’hui. En outre, les pratiques de ce secteur, qui représente près de 80 % des emplois salariés, sont désormais structurées par le cadre juridique de l’ESS. Ces emplois s’inscrivent très largement dans le cadre des missions historiques de service public. En effet, de nombreux services sociaux et de santé ont été délégués aux opérateurs que sont les organisations de l’ESS : qu’il s’agisse de la prise en charge du handicap (ESAT [2]), de la dépendance (EHPAD [3], services à la personne), de la protection de l’enfance (sauvegardes de l’enfance), de l’insertion (associations intermédiaires, chantiers d’insertion), de la santé (cliniques associatives, maladies de longue durée : sida, cancer, etc.), de l’hébergement d’urgence de sans-domicile ou encore des activités socio-éducatives (temps d’activité périscolaire, accompagnement scolaire, centres sociaux), de l’éducation populaire et de l’animation, de la politique de la ville, sans oublier la politique familiale, la défense des droits des femmes, la lutte contre les discriminations ou encore l’accompagnement vers l’emploi (missions locales, écoles de la deuxième chance, etc.). Fin 2015, selon la DARES, les contrats aidés dans le secteur non marchand représentaient plus de 80 % des programmes. En outre, la sédimentation des différents programmes de contrats aidés, menés pendant plusieurs décennies, a abouti à la structuration d’une véritable branche professionnelle de l’insertion par l’activité économique (IAE) dans laquelle les associations régies par la loi de 1901 (associations intermédiaires et chantiers d’insertion) représentent 80 % des 130 000 salariés en insertion (Albert 2016). Les salariés en insertion embauchés par des ateliers chantiers d’insertion figurent ainsi parmi les publics identifiés comme les plus « éloignés de l’emploi » (majoritairement des hommes peu qualifiés et ayant connu le chômage de longue durée) – à telle enseigne que l’on peut s’interroger sur leurs chances d’occuper, à terme, un emploi dans le secteur marchand. Comme l’a souligné une étude de la DARES, « lorsqu’elles sont en emploi six mois après, les personnes sorties de contrats aidés du secteur non marchand (dont les associations sont le principal employeur) se réinsèrent majoritairement dans ce secteur » (Fendrich et al. 2009). Bien sûr, ce public est très différent des bénéficiaires du programme « emplois-jeunes », lancé à la fin des années 1990 par le gouvernement de Lionel Jospin, dont beaucoup étaient des diplômés de l’enseignement supérieur et dans lequel les femmes étaient davantage représentées. De même, les « emplois d’avenir professeur », lancés à partir de 2012, sont destinés à des étudiants boursiers qui assurent un enseignement dans des établissements de l’éducation nationale de 12 heures hebdomadaires maximum. Compte tenu de la diversité des dispositifs, il s’avère difficile de brosser un « portrait type » du travailleur en contrat aidé dans le secteur non marchand. Au fil des années, le monde associatif est néanmoins devenu le principal employeur de ces différents dispositifs. Il est ainsi à l’initiative de la constitution de la branche de l’IAE par la création d’un syndicat patronal : le Syndicat national des employeurs pour les ateliers et chantiers d’insertion (Synesi), créé officiellement en 2006.

De la délégation à l’abandon du service public ?

Conformément à l’ambition d’un dépassement du clivage droite–gauche proclamé par l’actuel président de la République, l’économie sociale et solidaire occupe un rôle important au sein du gouvernement Philippe, qui a procédé, le 6 septembre 2017, à la nomination du candidat malheureux aux dernières élections législatives, Christophe Itier [4], en qualité de haut-commissaire à l’économie sociale et solidaire et à l’innovation sociale. Lors de ce même conseil des ministres, la ministre du Travail a signifié aux préfets qu’ils disposaient d’une « souplesse dans la gestion des crédits » affectés notamment au financement du dispositif du service civique (Ihaddadene 2016 ; Simonet 2010). Cela, autrement dit, revient à compenser les coupes budgétaires des contrats aidés par l’appel à des volontaires inscrits dans un dispositif dont la vocation originelle est de « soutenir l’engagement citoyen », puisque sa genèse fait suite à l’intégration du volontariat associatif dans l’annonce du « service civil volontaire » par Jacques Chirac à la suite des émeutes urbaines de 2005 (Simonet 2007). Car, en effet, le contrat de service civique signé par le volontaire n’est pas un contrat de travail et n’emporte donc pas de lien de subordination juridique avec l’association qui l’accueille. Ce qui signifie notamment que les horaires et les congés dérogent aux normes du code du travail et qu’à l’issue de sa mission le volontaire n’est pas indemnisé par l’assurance chômage. Mais surtout, si les programmes d’emploi aidé font l’objet d’évaluations statistiques régulières, le dispositif du service civique en est, quant à lui, exonéré puisque son objectif officiel n’est pas l’accès à l’emploi mais la promotion de l’engagement citoyen et des valeurs républicaines.

Cette instrumentalisation d’un dispositif favorisant la prise en charge des besoins sociaux par la société civile n’est pas sans rappeler la doctrine néolibérale de la « Big Society » prônée par le gouvernement de David Cameron au Royaume-Uni lors de son arrivée au pouvoir en 2010 (Balazard, Fisher et Scott [à paraître]). Elle confirme également que les usages politiques de l’économie sociale et solidaire, tel que son périmètre est institué par la loi de 2014, sont en rupture radicale avec la tradition historique incarnée par les pratiques pluriséculaires de l’économie sociale (Hély 2017). Cette loi pose, en effet, les organisations qui composent cet espace comme des « entreprises de l’ESS », reconnaissant par là même leur rôle économique. Mais ce rôle économique est évidemment de type non marchand, puisque la majorité des services dispensés par ces entreprises sont destinés à des publics peu ou pas solvables. Ainsi, voilà maintenant plusieurs décennies qu’un espace économique, sans cesse présenté comme « nouveau », alors que sa genèse remonte au début du XIXe siècle, occupe une position presque aussi importante que les services publics dispensés par l’État social dans le champ du non-marchand. Or cet espace économique est fondé sur une contradiction majeure : le statut des travailleurs associatifs [5] qui le composent relève du droit privé, alors que les missions accomplies sont très proches de celles du secteur public (Hély 2002). Le travail associatif coexiste donc à côté d’une fonction publique de carrière qui connaît, pour la première fois depuis la création du statut en 1946, une diminution significative de ses effectifs. Compte tenu de l’austérité budgétaire à laquelle le gouvernement actuel s’est résolu, le travail associatif, en remplissant les missions du public dans les conditions du privé, incarne de fait une « quatrième fonction publique » sans disposer des protections statutaires qui permettaient au fonctionnaire de se dévouer au service de l’intérêt général. C’est ainsi ce qu’illustre la crise que traverse le secteur associatif de la protection de l’enfance dans les Pays de la Loire confronté à une mise en concurrence organisée par un conseil départemental [6]. La crise ouverte par les coupes budgétaires dans les différents programmes d’emploi aidé devrait permettre d’engager un débat sur le statut de ces travailleurs associatifs qui, jusqu’alors, oscille entre les contraintes du public et celles du privé.

Bibliographie

Faites un don

Soutenez
Métropolitiques

Soutenez-nous

Pour citer cet article :

Matthieu Hély, « Emplois aidés : menace sur les services non marchands », Métropolitiques, 14 septembre 2017. URL : https://metropolitiques.eu/Emplois-aides-menace-sur-les-services-non-marchands.html

Lire aussi

Ailleurs sur le net

Newsletter

Recevez gratuitement notre newsletter

Je m'inscris

La rédaction publie

Retrouvez les ouvrages de la rédaction

Accéder

Faites un don

Soutenez
Métropolitiques

Soutenez-nous
Centre national de recherche scientifique
Revue soutenue par l’Institut des Sciences Humaines et Sociales du CNRS

Partenaires