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Le football en rénovation : quels stades pour quelles villes ?

À l’occasion du championnat d’Europe de football organisé en 2016 en France, ce dossier réunit des contributions issues de différentes disciplines afin d’offrir une diversité de points de vue sur les transformations du spectacle de football et sur leurs conséquences en termes d’aménagement, de mixité des publics et de redéfinition des identités urbaines.

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L’organisation par la France du championnat d’Europe de football offre l’opportunité de s’interroger sur les évolutions en cours du football, de ses stades et de ses publics. Cet événement a en effet été conçu par les milieux sportifs et politiques comme une occasion de « rattraper » ce qui était largement considéré comme un « retard français » en matière de conditions d’accueil des spectateurs. Ainsi, parmi les dix stades qui accueillent des matchs de la compétition, quatre sont sortis de terre au cours des dernières années (Bordeaux, Lille, Lyon et Nice), tandis que cinq ont fait l’objet de restructurations d’une ampleur variable (Lens, Marseille, Paris, Saint-Étienne et Toulouse).

Ces travaux de modernisation s’inscrivent dans un mouvement plus général de transformation du spectacle de football, étroitement associé à une volonté de sécuriser les stades et leurs abords, d’attirer de nouveaux publics et d’optimiser la rentabilité des équipements. Apparu en Angleterre au tournant des années 1990 à la suite de drames liés à la vétusté des enceintes (stade de Hillsborough à Sheffield en 1989) ou à la violence des hooligans (drame du Heysel à Bruxelles en 1985), ce mouvement touche à des degrés variés l’ensemble des pays européens. Les articles rassemblés dans ce dossier offrent une diversité de points de vue sur ces évolutions, et plus particulièrement sur leur inscription sociale et urbaine.

Les stades de football, miroirs des sociétés urbaines

Les stades ont toujours constitué un enjeu et une vitrine pour l’aménagement des villes. En retour, l’étude de leur histoire nous renseigne sur les sociétés locales comme sur le changement urbain (Rivière 2010). Ainsi, à Rome, l’histoire tourmentée du stade olympique, inauguré en 1932 comme symbole du Régime, apporte un éclairage aussi bien sur le rapport des Italiens au fascisme que sur les enjeux de spéculation immobilière et d’aménagement dans la périphérie de Rome. Dans le bassin minier français, le stade Félix-Bollaert de Lens, qui a longtemps incarné la puissance des Houillères, a été municipalisé puis réapproprié par un public plus large, jusqu’à devenir le symbole d’une identité quasi régionale.

Ainsi que le rappelle Christian Bromberger, il existe une forme d’identification entre le club, son stade et les différentes composantes de la société urbaine dans laquelle ils s’inscrivent l’un et l’autre. Le cas marseillais est de ce point de vue particulièrement illustratif : les tribunes du stade Vélodrome ont longtemps été structurées en fonction de l’appartenance à des quartiers de la ville et/ou à des catégories sociales distinctes. Comme le montre Ludovic Lestrelin, Marseille constitue dans le même temps, avec Saint-Étienne, un exemple tout à fait singulier en France : réalisant ce qui s’apparente à une forme de « pèlerinage », de nombreux non-Marseillais supporters de l’Olympique de Marseille intègrent la visite de différents lieux emblématiques de la ville à leur parcours avant d’aller assister à une rencontre au stade.

De manière plus générale, dans un contexte marqué à la fois par la financiarisation du football, l’internationalisation des clubs et la multiplication des transferts des joueurs, on observe un desserrement des liens unissant supporters, villes, stades et clubs. Cette tendance à la « déterritorialisation » du spectacle de football est illustrée de manière presque caricaturale par la présence de milliers de spectateurs venus expressément d’Asie pour assister à un match des grands clubs de la Premier League anglaise.

L’avènement d’un nouveau modèle de stade et ses promoteurs

À l’échelle des enceintes, les nouveaux stades sont plus modernes, plus confortables, plus sécurisés et proposent davantage de places de standing (loges, carrés « VIP »), dans le cadre de stratégies de montée en gamme des prestations comme du public. Conçus en vue d’approfondir la diversification de l’exploitation commerciale du spectacle sportif, ils incarnent une nouvelle étape dans la transformation du stadium en tradium (Bale 1993), où le lucratif semble prendre le pas sur le sportif.

À l’échelle des agglomérations, les clubs privilégient désormais des localisations extra-urbaines, comme à Lille, Bordeaux, Nice ou Lyon, afin de disposer de l’espace nécessaire pour transformer le stade en point d’ancrage d’un complexe ludico-sportif plus large (centres commerciaux, musées, cinémas…). Ces choix d’implantation sont souvent le fruit de compromis entre acteurs politiques et acteurs économiques locaux ; ils font l’objet de montages financiers et opérationnels complexes, fondés notamment sur des partenariats public–privé, comme dans le cas lillois décrit par Frédéric Sawicki. Cette évolution ouvre sans conteste une nouvelle époque, après celle des stades du paternalisme industriel (comme à Saint-Étienne, Lens ou Sochaux) puis celle de la municipalisation quasi généralisée : avant que l’Olympique lyonnais ne fasse construire son nouveau stade à Décines-Charpieu, seules l’AJ Auxerre et l’AC Ajaccio étaient propriétaires de leur stade, les autres clubs professionnels français étant locataires d’enceintes appartenant à des collectivités.

Quelles conséquences sociales et urbaines ?

Ces projets posent toutefois un certain nombre de questions du point de vue de leurs conséquences sociales et urbaines. En termes d’aménagement, la localisation des stades à la périphérie des villes entre en tension – et parfois même, comme à Lyon, en pleine contradiction – avec les objectifs des politiques publiques en matière de durabilité. À l’heure de la promotion du renouvellement urbain et de la lutte contre la périurbanisation, la construction de grandes infrastructures éloignées des villes, dont l’accès est souvent totalement ou partiellement dépendant de l’automobile, n’est-elle pas déjà devenue obsolète ? Ces nouveaux « stades des champs » posent également la question du devenir des anciens « stades des villes » (comme le stade du Ray à Nice ou le stade de Gerland à Lyon), entre reconversion et patrimonialisation.

Mais les principales critiques concernent la transformation, plus ou moins explicitement assumée, de la composition sociale des publics. Derrière l’argument légitime de la lutte contre les débordements d’une frange violente des supporters (voir, par exemple, Collinet et al. 2008), les clubs ont mis en place, avec le soutien appuyé des autorités publiques, une sélection de fait (augmentation du prix des billets, contrôle renforcé des abonnements et du placement à l’intérieur des stades) mais aussi de droit (possibilité pour les préfets de limiter la liberté d’aller et venir des supporters, interdictions de stade et obligation de pointage au commissariat à la mi-temps) de leurs publics, dont le Parc des Princes offre l’exemple le plus abouti. Pourtant, l’éviction progressive des classes populaires, la multiplication des restrictions des libertés individuelles des supporters, la construction d’une frange de la jeunesse en problème public ne semblent pas particulièrement interpeller les chercheurs en sciences sociales. Seuls certains d’entre eux montrent à quel point il peut être pertinent d’appliquer des grilles de lecture critiques, comme celle de la « ville revanchiste » (Smith 1996), à un certain nombre de ces nouveaux « stades sans le peuple ».

Dans un tel contexte, les supporters développent d’autres formes d’attachement à leur équipe – par exemple, en investissant l’espace urbain hors du stade, par le biais de marques et de signes et par l’entretien de lieux de sociabilité populaire. À Paris, les bannis du Parc des Princes se retrouvent pour certains dans des bars où ils recréent l’ambiance des matchs, tandis que d’autres se sont détournés du Paris Saint-Germain pour soutenir les autres équipes franciliennes comme le Red Star, le club historique de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis). De manière symptomatique des transformations en cours, celui-ci se trouve aujourd’hui « sans stade fixe », faute d’accord entre les dirigeants du club et la mairie sur la rénovation du stade Bauer, devenu l’emblème de la résistance d’un football populaire dans la capitale.

Au sommaire de ce dossier :

Les stades de football, miroirs des sociétés urbaines

L’avènement d’un nouveau modèle de stade et ses promoteurs

Quelles conséquences sociales et urbaines ?

Bibliographie

  • Bale, John. 1993. Sport, Space and the City, Caldwell : The Blackburn Press.
  • Collinet, Cécile, Bernardeau-Moreau, Denis et Bonomi, Julien. 2008. « Le casual, un nouveau genre de hooligan. Loin du stade et de la police », Les Annales de la recherche urbaine, n° 105, p. 37‑45.
  • Rivière, Clément. 2010. « Quand le sport travaille la ville. “Stadisation” et luttes pour l’espace dans le quartier du Parc des Princes », Les Annales de la recherche urbaine, n° 106, p. 121‑131.
  • Smith, Neil. 1996. The New Urban Frontier : Gentrification and the Revanchist City, New York : Routledge.

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Pour citer cet article :

Aurélien Delpirou & Clément Rivière, « Le football en rénovation : quels stades pour quelles villes ? », Métropolitiques, 13 juin 2016. URL : https://metropolitiques.eu/Le-football-en-renovation-quels-stades-pour-quelles-villes.html

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