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Essais

Le « plan Dozois » : quelques leçons de l’histoire de l’urbanisme et des politiques de rénovation urbaine à Montréal

Les politiques de rénovation urbaine justifient leurs actions en dépréciant les quartiers promis à la démolition. Frédéric Mercure-Jolette s’attache à le démontrer à partir de l’exemple peu étudié des opérations massives qui ont touché le centre-ville de Montréal dans les années 1960. Son article pointe également les liens inextricables entre la rénovation urbaine et l’institutionnalisation paradoxale de la profession d’urbaniste.

Dossier : Rénovation urbaine. L’espace comme remède à la question sociale ?

Le Projet de rénovation d’une zone d’habitat défectueux et de construction d’habitation à loyer modique (PR), présenté en 1954, est un moment marquant de l’urbanisme des Trente Glorieuses au Canada. Ce projet est plus connu à Montréal sous le nom de « plan Dozois », du nom du conseiller municipal, membre de la chambre de commerce, président du « Comité consultatif pour l’élimination des taudis et pour l’habitation à loyer modique ». Incarnant un savoir urbanistique jusque-là inexistant, le plan Dozois devient rapidement un élément structurant du débat public et des controverses sur l’urbanisme. Entre 1954 et 1957, la perspective de voir ce plan réalisé enflamme la ville. Il est finalement modifié avec l’accord du gouvernement fédéral, par le biais de la Société canadienne d’hypothèques et de logement qui financera la majeure partie du projet, et du gouvernement du Québec – Paul Dozois est entre-temps désigné ministre des Affaires municipales sous Maurice Duplessis [1]. Les critiques persistent malgré tout. À peine quelques années après sa réalisation, le jugement de Hans Blumenfeld – intellectuel européen devenu urbaniste-conseil à la ville de Montréal dans les années 1960 [2] – est catégorique : le « plan bulldozois », comme il aimait l’appeler, fut une erreur monumentale (Blumenfeld 1987, p. 264). Selon lui, la démolition de logements à grande échelle prônée dans le plan – le rapport initial propose la destruction de 1 383 logements – ne pouvait ni élever le revenu des familles pauvres ni favoriser leur accès au logement. Elle ne pouvait donc régler le problème des taudis (Blumenfeld 1971, p. 181), comme ses défenseurs le prétendaient pourtant.

Figure 1. Un croquis du projet

Source : Projet de rénovation d’une zone d’habitat défectueux et de construction d’habitation à loyer modique, p. 18B, plan n° 9A, 1954. (cc) [BY‑NC‑SA 2.5 CA] Archives de la ville de Montréal, cote CA M001 VM103‑(S)3‑D3

Le plan Dozois est ainsi rapidement devenu un « contre-modèle » pour les projets ultérieurs de rénovation urbaine, à l’image de celui du quartier Petite-Bourgogne, lancé en 1966 (Dansereau 1974).

De ce plan Dozois, des leçons peuvent pourtant être tirées pour qui veut comprendre la « pensée urbanistique » et l’histoire de l’urbanisme. Il représente une manière de penser la ville et de justifier l’action publique qui, à plusieurs égards, imprègne encore aujourd’hui les politiques urbaines, en Amérique du Nord et au-delà. Si les discours des années 1960 sont marqués par le passage de l’éradication des taudis à la conservation du patrimoine urbain, ils demeurent focalisés sur « la dépréciation du cadre bâti ancien » (Drouin 2012, p. 22). L’intervention gouvernementale se fixe toujours comme priorité l’adaptation du bâti ancien aux besoins actuels et futurs de la métropole et repose sur l’enquête, à la fois sur l’état du bâti et sur les besoins présumés de la population.

En prenant appui sur le plan Dozois, ce sont les éléments théoriques et discursifs des politiques de rénovation urbaine que nous souhaitons ici analyser en observant les liens entre les comportements sociaux et l’environnement, en étudiant l’importance grandissante du savoir spécialisé dans l’action publique urbaine et la postérité du plan Dozois dans l’institutionnalisation de l’urbanisme comme discipline académique et pratique professionnelle au Québec.

Objectiver le social via la question urbaine

Le plan Dozois est important car, pour la première fois dans l’histoire montréalaise, une publication gouvernementale énonce l’évolution des besoins dans le domaine de l’habitation, dresse un état général de l’immobilier dans les secteurs les plus défavorisés et propose un projet de construction d’habitations à loyer modique. Nous avons ici affaire à un document qui est le résultat de onze séances tenues par un comité consultatif entre 1952 et 1954, où siègent huit élus, mais aussi quatre représentants du comité des citoyens et trois employés municipaux agissant comme conseillers techniques et dont le pouvoir se réduit à formuler des recommandations. Ce rapport est produit dans un contexte marqué notamment par la corruption [3] et la pénurie du logement. Un regroupement, composé de cinquante-cinq associations caritatives, religieuses, syndicales, professionnelles et économiques, le « Comité des 55 », qui a fait du logement social une priorité d’action, a pesé de tout son poids dans la mise sur pied de ce comité consultatif. Les quatre représentants du comité des citoyens sont en fait issus de ce groupe. La mission première de ce comité consultatif consiste à « saisir dans des termes objectifs le problème du logement » et démontrer qu’un projet ambitieux et financièrement réaliste est possible.

Grâce aux statistiques du recensement fédéral de 1951 et à celles des services municipaux, les premières pages du rapport démontrent que le problème du logement à Montréal n’est pas lié au nombre total de logements, qui semble suffisant, mais plutôt à leur âge, à la vétusté et au coût moyen des loyers. Le problème du surpeuplement et de la dé-densification n’apparaît pas central. En effet, le rapport ne propose pas de réduire le nombre d’habitants au centre, mais d’améliorer leurs conditions de vie et la qualité générale de la trame urbaine : 35 000 locataires payent un loyer trop élevé pour leur revenu sans pouvoir bénéficier d’habitations à loyer modique. Cherchant à décrire objectivement le phénomène des taudis, le rapport énonce quatre facteurs qui contribueraient à déprécier un secteur d’habitations : l’âge des bâtiments, les conditions sanitaires, l’absence de services communautaires [4] et la congestion de la circulation. Le comité, qui a délimité et visité [5] treize « zones d’habitat défectueux » sur le territoire de Montréal, arrête finalement son choix sur le secteur délimité par les rues Saint-Urbain, Ontario, Saint-Denis et Sainte-Catherine afin de proposer une action de rénovation urbaine.

Figure 2. Carte des « zones d’habitat défectueux » avec, en gros plan, le secteur choisi

Source : Projet de rénovation d’une zone d’habitat défectueux et de construction d’habitation à loyer modique, p. 5A, plan n° 1, 1954. (cc) [BY‑NC‑SA 2.5 CA] Archives de la ville de Montréal, cote CA M001 VM103‑(S)3‑D3

Étendant l’appellation plus usuelle de « taudis » à tout un secteur, la catégorie de « zone d’habitat défectueux » se rapproche de l’expression anglaise « slum » ou de celle, française, d’îlot insalubre [6]. Le rapport souhaite traiter la question urbaine dans un vocabulaire spécialisé et, ainsi, accentuer la scientificité apparente des conclusions. Contrairement à une définition purement « matérielle », comme celle de Le Corbusier et des Congrès internationaux d’architecture moderne (Le Corbusier 1957, p. 34), le plan Dozois accorde une place importante à la vie sociale dans l’identification de ses catégories d’action. Dans l’imaginaire populaire et dans celui des membres du comité consultatif, le taudis est associé à des formes de vie sociale pathologique. Dans la seconde partie du rapport, le choix du secteur est justifié par une étude approfondie de cette zone qui démontre que sa « défectuosité » est à la fois matérielle et sociale. Bâti pour l’essentiel dans la première moitié du XIXe siècle, ce secteur comprend une des plus fortes concentrations de bâtiments vétustes de la ville ; son système de rues est jugé « inadapté et enclavé » ; l’occupation du sol y est saturée ; il ne dispose que de très peu de parcs et de terrains de jeux et certains commerces et industries seraient difficilement conciliables avec la fonction résidentielle de ce secteur. De plus, et cela est essentiel, le niveau de délinquance juvénile y est près de dix fois plus élevé que dans le reste de la ville. Le rapport présente un tableau dressant le « casier judiciaire du secteur » à partir d’un inventaire des plaintes et des arrestations de 1952. Le résultat est sans appel : « la présente étude démontre qu’une fois de plus la désintégration sociale d’un secteur est reliée à sa désintégration physique » (PR, p. 11).

Un aspect important est pourtant passé sous silence. Le secteur choisi est alors une plaque tournante de la prostitution à Montréal. On y trouve une des concentrations de « maisons closes » les plus élevées de la ville, ce qui entraîne une suractivité policière. Le rapport laisse entendre qu’en rénovant l’espace d’habitation, la vie sociale s’en trouvera améliorée ou, autrement dit, que dans un habitat ensoleillé, aéré, entouré de verdure et avec des équipements sanitaires modernes, les mœurs y seront plus civilisées. Cette assertion révèle, qu’à l’époque, la pensée urbanistique s’arrime aux velléités d’éradication du « vice » et du « crime », ce qui a pour effet de lui donner une plus grande légitimité dans le débat public. Parallèlement, le discours sur la moralité publique trouve dans l’urbanisme une série de moyens pour assainir les mœurs urbaines. Cette conjoncture discursive facilite la réduction de certains problèmes sociaux à des problèmes d’aménagement de l’espace.

Figure 3. Le « casier judiciaire du secteur »

Source : Projet de rénovation d’une zone d’habitat défectueux et de construction d’habitation à loyer modique, p. 11, 1954. (cc) [BY‑NC‑SA 2.5 CA] Archives de la ville de Montréal, cote CA M001 VM103‑(S)3‑D3

L’autre grand enjeu, derrière le plan Dozois, est celui de l’économie et de la productivité. Or, bien que cet aspect soit essentiel pour les « rénovateurs urbains » – Marc Choko, dans la seule étude consacrée au plan Dozois à ce jour, soutient que tous s’entendent sur le fait que « les taudis coûtent cher, ne rapportent rien et occupent des emplacements essentiels à la restructuration des espaces centraux » (Choko 1995, p. 103) –, il n’est abordé que de manière indirecte. Les arguments économiques ne sont soulevés qu’à propos des questions de circulation, comme si la productivité dépendait directement de la bonne condition des infrastructures de transport ou, autrement dit, que le flux de capitaux vers le centre était conditionné à la fluidité de la circulation des biens et des personnes. Selon le rapport, la congestion routière et le manque de stationnement participeraient grandement à la dévaluation du secteur. La congestion est ainsi considérée comme un obstacle à la productivité et au développement économique, un thème récurrent tout au long du XXe siècle [7]. Pour résoudre ce problème, la solution du plan Dozois est double : la construction en hauteur et la coordination des rues, qui permettraient de conserver une grande concentration de travailleurs dans un centre « aéré et fluidifié ». Le sous-entendu est clair : améliorer la circulation grâce à l’urbanisme, c’est améliorer l’économie.

Le rapport estime que la situation au cœur de la ville, près du centre des affaires et des commerces, est avantageuse. La proximité de plusieurs édifices destinés au culte ainsi que de tous les services publics dont les futurs locataires auront besoin (écoles, bibliothèque, bains publics, poste de police, poste d’incendie et transports en commun) en fait un endroit idéal de développement urbain.

Ce regard urbanistique, à partir d’une enquête de terrain et d’une étude de l’histoire du lieu, établit donc simultanément des éléments pathologiques à détruire et des éléments sains à stimuler. Ceux, comme Blumenfeld, qui critiqueront le manque de prise en considération de la trame urbaine dans le plan Dozois œuvreront à modifier ce regard, sans en remettre en question le cadre d’analyse.

L’entente malgré les désaccords

La dernière section du rapport porte sur le projet proprement dit, c’est-à-dire l’évaluation du nombre de familles à reloger, leur composition et leurs revenus, les caractéristiques des logements et des bâtiments projetés et les projections financières. Afin de reloger les 1 305 familles dont le logement sera démoli, 16 immeubles d’une architecture « simple et fonctionnelle » sont programmés (PR, p. 32), totalisant 1 388 logements. Des parallèles avec les Congrès internationaux d’architecture modernes se donnent à voir dans les nombreux croquis contenus dans le rapport (Choko 1995, p. 13). La presse, majoritairement favorable au projet de rénovation, ne manquera pas d’ailleurs de noter avec enthousiasme ces références internationales et modernistes qui ne peuvent, selon elle, que redorer l’image de la ville (Choko 1995, p. 33).

Or, dans les mois qui suivent, c’est plutôt la question de la reconstruction et du relogement de la population qui enflamme les esprits. Jean Drapeau, un avocat réformateur et ambitieux, élu maire pour quelques mois après le dépôt du rapport, ainsi que son bras droit Lucien Saulnier, particulièrement attentif aux questions du logement, partent en guerre contre ces propositions. Selon eux, la construction d’un vaste complexe de HLM risque de créer un « mur de béton » entre l’est du centre-ville, francophone, résidentiel et populaire, et l’ouest, anglophone, affairé et prospère. Pour Drapeau, qui critique la vision de la ville sous-jacente de ce rapport, le centre-ville doit être tourné vers les affaires et le secteur tertiaire et non vers la fonction résidentielle. Saulnier soutient de son côté que le plan Dozois risque de donner naissance à un « super taudis ».

À la suite de ses visites dans plusieurs villes des États-Unis abritant ce type de projet – c’est l’époque de construction des « projects » dans un certain nombre de grandes villes – Saulnier affirme que « presque partout on trouve les traces d’un vandalisme permanent : carreaux brisés, portes endommagées, ascenseurs bloqués sciemment, etc. » (Saulnier 1957). La comparaison avec les autres grandes villes américaines est un aspect essentiel du débat [8]. Le plan Dozois s’est inspiré de certains projets adoptés à l’étranger ou dans d’autres provinces canadiennes, notamment Regent Park à Toronto, premier grand complexe d’habitation à loyer modique au Canada, bâti à la fin des années 1940. Pour l’équipe Drapeau, les résultats mitigés des premiers grands projets nord-américains justifient la conservation d’un modèle d’habitat traditionnel. S’alliant à la rhétorique de l’Action catholique, Drapeau, attaché à l’investissement privé, propose de favoriser à la place l’accès à la propriété unifamiliale sous la forme de l’habitat pavillonnaire et de disséminer différents projets en périphérie. Il ne réussira pas cependant à rallier le gouvernement, provincial et fédéral, à sa vision et à empêcher ainsi que le projet, baptisé Habitations Jeanne-Mance, soit construit [9].

Dans ces débats, c’est moins l’identification du problème que la solution proposée qui cause la discorde. Un fort consensus règne sur le diagnostic social : le problème des taudis doit être pris en charge par la ville et les institutions publiques. Les différents « réformateurs » partagent en quelque sorte une vision misérabiliste du « taudis » et la plupart se prononce pour une entreprise curative de démolition et de reconstruction. Les idées de salubrité et d’hygiène sont omniprésentes et la métaphore médicale est largement utilisée pour décrire la ville. On peut ainsi lire dans les journaux que le taudis est une « plaie sociale » (La Patrie 1956) ou « un cancer qui ronge la ville de l’intérieur » (The Gazette 1957).

Cette conception du taudis est en réalité ancienne, elle n’émerge pas dans l’espace public montréalais avec la publication du plan Dozois. Elle remonte au moins à 1897, année de la publication de l’enquête sur les conditions de vie des classes pauvres du Sud-Ouest, « City Below the Hill : A Sociological Study of a Portion of the City of Montreal », menée par Herbert B. Ames dans l’esprit des réformistes américains et britanniques. Le plan Dozois innove cependant dans le travail de collecte et de synthèse des données, par l’envergure du projet et le dirigisme public qui en est à l’origine. Un « tuilage des contextes », pour utiliser l’expression d’Isabelle Backouche, explique peut-être la réalisation d’une telle entreprise de rénovation urbaine (Backouche 2014). Plusieurs contextes se superposent, en effet, et produisent une conjoncture favorable au plan. Tout d’abord, les nombreux scandales qui défraient la chronique poussent les autorités à entreprendre des actions significatives d’assainissement des mœurs urbaines [10]. Ensuite, Montréal, métropole canadienne incontestée au début du XXe siècle, souffre de plus en plus de la comparaison avec les autres grandes villes nord-américaines ; elle est lentement dépassée par Toronto comme métropole et centre du commerce au Canada, ce qui amène certains décideurs à promouvoir de grands projets d’envergure internationale [11].

Par ailleurs, une des grandes nouveautés de ce plan est qu’il revendique une cohérence avec le plan directeur de la ville établi en 1944 : la distribution des usages et surtout le réaménagement du système de rues qu’il propose s’arriment, affirme-t-on, parfaitement aux autres interventions menées dans la ville. Ce mode de justification de l’action publique dans le domaine de l’urbanisme est essentiel et implique une temporalité particulière : toute action est pensée en fonction d’un plan général ou d’une vision globale de la ville préalablement établie à l’aide d’enquêtes de terrain et de prévisions, et repose sur une connaissance de l’évolution générale de la ville.

De la sorte, un ensemble de professionnels de la ville se constitue et fait pression sur les différents gouvernements afin que la production de la ville soit prise en charge de manière réfléchie et que davantage de ressources y soient consacrées, notamment dans le domaine du logement [12]. C’est aussi une façon, pour ces professions naissantes, de revendiquer leur propre expertise et leur rôle futur.

Un paradigme éphémère ?

Les débats entourant le plan Dozois contiennent en germe une partie des idées et des politiques qui marqueront la modernisation de Montréal dans les décennies suivantes, époque durant laquelle l’équipe de Jean Drapeau a régné sans partage et qui fut celle de l’exposition universelle de 1967 et des Jeux olympiques de 1976, événements qui furent autant d’occasions pour « moderniser » la ville. Du côté des professionnels de la ville, Hans Blumenfeld et certains de ses collègues s’efforcent alors de changer la vision de l’intervention publique en matière d’habitation. Dans une de ses premières conférences à la Community Planning Association of Canada en 1962, il soutient ainsi la nécessité de changer de vocabulaire : au lieu de « slum clearance » il faudrait parler d’« urban renewal », c’est-à-dire passer d’une approche négative et destructrice à une approche positive et régénératrice (Blumenfeld 1971, p. 192). Les urbanistes sont dès lors appelés à collaborer davantage avec des sociologues, des ethnographes et des animateurs sociaux, façon de mieux prendre en compte les « besoins des habitants ».

Dans les années 1970-1980, les projets d’habitation sont plus ciblés et la conservation du patrimoine devient un enjeu central de la rénovation urbaine (Drouin 2012). La prise en charge de la dépréciation du cadre bâti ancien demeure un objectif central de l’action publique urbaine, qui semble justifier la production de savoirs spécialisés. La critique du plan Dozois, accusé d’être peu attentif au patrimoine et à la continuité de la trame urbaine, ne mène donc pas au désaveu de l’urbanisme mais plutôt à sa redéfinition et à son redéploiement. La profession se consolide d’ailleurs à cette époque au Québec : en 1961, l’Institut d’urbanisme de l’université de Montréal est créé ; en 1963, c’est l’ordre professionnel des urbanistes du Québec qui voit le jour ; en 1964, la charte du service d’urbanisme de la ville de Montréal (adoptée en 1941) est réformée, afin d’intégrer davantage ces nouveaux spécialistes… Les urbanistes voient donc leur profession s’institutionnaliser dans un contexte de critique de l’urbanisme. Ce paradoxe apparent s’explique notamment par la réussite d’urbanistes d’abord « dissidents », comme Blumenfeld, qui en réorientant les critiques vers une revendication d’un « meilleur » urbanisme sont parvenus à limiter la remise en cause de la profession en tant que telle, et de sa prétention à planifier le développement urbain.

Bibliographie

  • Backouche, I. 2014. « Élucider le changement urbain. Le tuilage des contextes de l’îlot 16 à Paris (1920‑1980) », in Brayard, F. (dir.), Des contextes en histoire, Paris : Centre de recherches historiques (CRH)/École des hautes études en sciences sociales (EHESS), p. 151‑179.
  • Blumenfeld, H. 1971. The Modern Metropolis : Its Origins, Growth, Characteristics, and Planning : Selected Essays, Cambridge (Massachusetts) : MIT Press.
  • Blumenfeld, H. 1987. Life Begins at 65 : The Not Entirely Candid Autobiography of a Drifter, Montreal : Harvest House.
  • Charlebois, C. 2011. « Les Habitations Jeanne-Mance : coupables ou victimes du “Moderne” ? », Documodo, bulletin n° 9.
  • Choko, M.-H. 1995. Les Habitations Jeanne-Mance : un projet social au centre-ville, Montréal : Éditions Saint-Martin.
  • Comité consultatif pour l’élimination des taudis et pour l’habitation à loyer modique. 1954. Projet de rénovation d’une zone d’habitat défectueux et de construction d’habitation à loyer modique, rapport soumis au comité exécutif de la cité de Montréal.
  • Dansereau, F. 1974. « Les aléas de la rénovation urbaine : l’expérience des 15 dernières années », Neuf, n° 50, reproduit dans Bourassa, G. et Léveillé, J. (dir.), « Le système politique de Montréal », Cahiers de l’ACFAS, n° 43, p. 407‑435.
  • Drouin, M. 2012. « De la démolition des taudis à la sauvegarde du patrimoine bâti (Montréal, 1954‑1973) », Urban History Review/Revue d’histoire urbaine, vol. 41, n° 1, p. 22‑36.
  • Fijalkow, Y. 2006. « Taudis, habitat insalubre, logement indigne : évolution et enjeux des stratégies de désignation, 19e‑20e siècle », in Depaule, J.‑C. (dir.), Les Mots de la stigmatisation urbaine, Paris : Éditions UNESCO/Éditions de la Maison des sciences de l’homme, coll. « Les Mots de la ville », p. 20‑40.
  • Gazette, The. 1957. « Croteau’s View on Dozois Plan », 7 février.
  • Gignac, B. 2009. Le Maire qui rêvait sa ville : Jean Drapeau, Montréal : Éditions La Presse.
  • Le Corbusier. 1957. La Charte d’Athènes, Paris : Éditions de Minuit.
  • Marsan, J.-C. 2012. Montréal et son aménagement : vivre la ville – textes choisis, Québec : Presses de l’université du Québec.
  • Patrie, La. 1956. « A propos du plan Dozois », 29 novembre.
  • Saulnier, L. 1957. « Il ne faut pas remplacer les taudis par des super-taudis », La Patrie, 24 février.
  • Topalov, C. 1990. « La ville “congestionnée”. Acteurs et langage de la réforme urbaine à New York au début du XXe siècle », Genèses, n° 1, p. 86‑111.

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Pour citer cet article :

Frédéric Mercure-Jolette, « Le « plan Dozois » : quelques leçons de l’histoire de l’urbanisme et des politiques de rénovation urbaine à Montréal », Métropolitiques, 1er avril 2015. URL : https://metropolitiques.eu/Le-plan-Dozois-quelques-lecons-de.html

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