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Allier festivités et sécurité : le jeu impossible de Paris 2024 ?

Étudiant les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, Noémie Suissa s’intéresse à l’alliance entre leurs pendants sécuritaires et festifs. Elle montre que c’est la mise en visibilité de la sécurité qui est à l’origine de la « réussite » de l’événement.

Cet article montre comment les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de Paris 2024, en tant qu’événement extraordinaire organisé et pensé comme une fête, permettent aussi de déployer des dispositifs de sécurité sans pour autant renier l’aspect festif. Ainsi, les Jeux olympiques sont étudiés comme un espace de réconciliation entre sécurité et festivité, toutes deux parties prenantes d’un « capitalisme de fête » (Boykoff 2013). Cette sécurisation assumée par les organisateurs dans le cas français est présentée comme un gage de réussite et du bon déroulement de la fête, sans que la légèreté de l’événement sportif ne soit entachée de l’arsenal sécuritaire. La ville fait à la fois office de support de la fête et d’espace de déploiement des dispositifs sécuritaires, reposant en partie sur la mise en visibilité des forces de l’ordre dans l’urbain et rejoignant l’idée d’une militarisation de l’espace public (Graham 2011).

La littérature anglophone sur l’objet olympique traite effectivement de la question de la sécurité (Bajc 2016) : lieux à sécuriser, acteurs engagés dans la sécurisation, enjeux liés à l’exposition médiatique et à la concentration démographique propres aux Jeux. Motivées pour se positionner face à une pléthore de sorties médiatiques, en lien avec l’actualité géopolitique précédant l’édition parisienne, des publications scientifiques françaises prolongent les études anglophones sur le lien entre sécurité et olympisme (Picaud 2024). L’enquête inscrite dans le prolongement de cette recherche émergente s’appuie sur une quinzaine d’entretiens semi-directifs menés auprès d’acteurs ayant pris part à l’organisation des Jeux dans deux ministères (Armée et Intérieur) ; au sein de Paris 2024 et avec des entreprises privées ayant remporté des marchés publics. De plus, des observations ont été faites durant la phase préparatoire et au cours du déroulé des Jeux. Les premiers retours d’expérience, ou RETEX, sur la sécurisation des JOP réalisés au dernier trimestre 2024 ont été intégrés à l’analyse.

L’articulation entre sécurité et festivités, gage de qualité des Jeux olympiques de Paris 2024

Relativement tôt dans la préparation des Jeux, après la sélection de la ville-hôte par le Comité international olympique, la Ville de Paris fait de la conciliation entre sécurité et festivité un argument, choisissant de voir dans l’édition parisienne des JOP une des nombreuses preuves de la « résilience » de la capitale française après les attentats de 2015. Cette idée rejoint celle qui émane de l’expression « Paris est une fête », tirée du livre éponyme d’Ernest Hemingway et reprise comme leitmotiv au lendemain du 13 novembre, afin de souligner que les attentats ayant touché des lieux de festivités ne viendraient pas à bout du « mode de vie » parisien bouleversé ce soir-là. Au moment des Jeux, la tournure « Paris est une fête » est reprise dans le discours des pouvoirs publics et notamment par la maire de Paris, faisant des Jeux olympiques un symbole de la continuité de la vie depuis 2015, mais pas seulement.

En effet, interrogé après les Jeux, un enquêté travaillant à la Ville revient sur l’enjeu réputationnel inhérent à l’édition parisienne, tel que pensé par la municipalité : montrer au monde que Paris, cible de terroristes, est capable d’accueillir en toute sécurité des millions de personnes. Cette réflexion, conférant à la festivité un pouvoir à la fois fédérateur, mais aussi réparateur, va dans le même sens que l’étude de faisabilité et d’opportunité de la candidature de Paris, présentée en février 2015. Les JOP y sont présentés d’emblée comme un moyen de favoriser le « vivre-ensemble » après les attaques de janvier. La mobilisation de l’argument « 13 novembre » consacre la représentation d’une forme festive de la « résilience » de la société française depuis 2015.

Deux visions concurrentes de l’événement : entre détracteurs médiatiques et organisateurs publics

Toujours lors des préparatifs des Jeux, le thème de la sécurité est largement mis en avant dans les discours et ce, de deux façons différentes. D’abord, bon nombre d’interventions médiatiques par des « experts » (Deltombe 2008) soulignent l’impréparation des organisateurs, en insistant sur le recours massif à la sécurité privée, vue comme un palliatif, sur la non-attribution des offres de marché public de sécurité, ou encore sur l’actualité géopolitique au Moyen-Orient, qui ferait de la France une cible de choix. Le chaos est annoncé par des personnalités coutumières des prises de parole tonitruantes et présentées comme spécialistes des questions de sécurité. L’un d’eux qualifie ainsi la cérémonie d’ouverture de « folie criminelle [1] » et la perspective de festivités paraît illusoire (Chapitaux 2024). De façon moins caricaturale, des enquêtes menées par des médias grand public portent, là encore, sur la sécurité des Jeux olympiques et principalement sur le recours à la sécurité privée [2], majoritairement décrié.

Presque à l’extrême inverse, et pourtant dans le même temps, une autre rhétorique est déployée par les acteurs publics prenant part à l’organisation, diffusant un discours officiel et institutionnel : celui d’une sécurité préparée et infaillible, indépendamment de l’actualité ou du manque de personnel formé ou des controverses relatives à l’utilisation de certaines technologies. Ce discours uniforme est diffusé dans des médias grand public mais aussi dans des cercles de professionnels plus initiés, comme au salon du marché de la sécurité Milipol Paris, en novembre 2023, dont la thématique était les JOP de 2024. Amélie Oudéa-Castéra, alors ministre des Sports et des Jeux, donne la première conférence de la journée d’ouverture et présente une image parfaitement maîtrisée de la sécurité des Jeux, tout comme Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur. Ce dernier a ensuite assuré en mars 2024 : « Nous avons également prévu l’imprévisible. » La question de la préparation des forces humaines, notamment à travers l’organisation d’exercices parfois médiatisés [3], est mise en avant. Ainsi, les discours émanant d’institutions organisatrices garantissent que grâce à cette sécurisation, la fête sera au rendez-vous.

Ce n’est pas tant la diffusion d’un discours officiel qui est intéressante ici mais plutôt l’opposition nette entre deux rhétoriques concurrentes dans le même temps : d’un côté, une catastrophe prévisible, que des détracteurs des JOP soulignent mais pas uniquement, de l’autre, une préparation infaillible que les organisateurs mettent en avant. Interrogés pour certains après les Jeux, des enquêtés ayant pris part à l’organisation de l’édition parisienne reviennent d’eux-mêmes sur les discours catastrophistes pré-Jeux olympiques pour en souligner l’invalidité, compte tenu du déroulé sans incident des Jeux de Paris. Il semble donc, au regard des retours d’expérience également, que le second narratif déployé par les acteurs ayant pris part à la sécurisation s’est maintenu et a été repris dans la presse via les différentes prises de parole par les organisateurs. De plus, l’absence d’incident a favorisé l’acceptation sociale générale des modalités de sécurisation des Jeux, éventuellement réplicable ensuite à d’autres événements.

Une sécurisation visible dans l’espace public pour garantir la fête

Une des raisons de ce succès et de cette réconciliation entre festivité et sécurité semble être la visibilisation volontaire des processus de sécurité dans l’espace public, et le fait que les organisateurs aient misé sur le caractère dissuasif de l’omniprésence de forces de sécurité intérieure. Celles-ci sont présentes sous différentes formes : militaires et gendarmes, policiers nationaux et municipaux, agents de sécurité privée, personnels étrangers par exemple. La combinaison de ces unités forme ce fameux « continuum de sécurité », auquel certains enquêtés issus de la sécurité privée espèrent contribuer. Si une diversification des forces de l’ordre est observable ailleurs (Crawford 2008), une des spécificités françaises est notamment de bénéficier de l’armée à travers l’opération Sentinelle, avec 10 000 soldats déployés en Île-de-France pour les Jeux.

L’ubiquité des forces de sécurité est renforcée par des consignes clairement établies par les différents responsables opérationnels, par exemple dans la police municipale parisienne, fraîchement créée. En effet, les agents municipaux avaient pour consignes d’être le plus visibles possible, en évitant le statisme, en patrouillant à pied et en se rendant disponibles auprès de la population de touristes notamment. L’idée est à la fois de rassurer mais également de dissuader tout acte malveillant, sachant que cette présence humaine était également renforcée par des dispositifs techniques, comme la vidéo-surveillance.

Figure 1. Une prévalence des contrôles humains pour accéder à la cérémonie d’ouverture

Source : N. Suissa, 26 juillet 2024.

Les premiers retours d’expérience des acteurs ayant participé à l’organisation des Jeux établissent presque tous le même bilan : le succès unanime et sans accroc des Jeux, olympiques et paralympiques compris, grâce à la mise en place d’une nouvelle chaîne de commandement unique pour l’opérationnel, avec le préfet de police de Paris à son sommet. Ce dernier était responsable d’un nombre exceptionnellement élevé de forces de sécurité intérieure : 30 000 en moyenne quotidiennement en Île-de-France pour toute la durée des JOP, avec un pic à 45 000 lors de la cérémonie d’ouverture. Le succès sécuritaire est présenté comme le résultat de la coordination et de la préparation d’acteurs issus de secteurs multiples, tous réunis autour de la même table au sens littéral, au sein d’un centre de commandement, le « Paris Operation Center », à l’Hôtel de Ville.

La fête est réussie !

Finalement, ce n’est pas tant le caractère novateur des éléments de sécurisation déployés dans l’espace qui a permis d’assurer les festivités, puisque tous étaient connus, à part la vidéo-surveillance algorithmique à petite échelle. C’est davantage la façon avec laquelle ces éléments – humains et non humains – ont été massivement déployés dans l’espace et visibilisés. Là où une sécurité discrète et reposant sur des solutions technologiques aurait pu être attendue pour ne pas troubler la fête, il semble que les décideurs aient fait le choix de la visibilité et de la lisibilité du dispositif dans l’espace. Les agents étaient encouragés à participer à la fête et de fait, à fondre la sécurité dans la festivité.

Il semblerait que ce dispositif sécuritaire hors normes, comprenant humains et non-humains, ait été bien accepté par le public : en témoignent par exemple les retours médiatiques sur l’édition parisienne, rendant compte d’une exaltation générale pour le fait olympique français, et l’adoption du discours officiel mentionné plus tôt. Cela amène à s’interroger sur son éventuelle réplicabilité, sans aucun doute à moyens réduits, puisque le coût total de la sécurisation des Jeux de Paris est estimé à 1,4 milliard d’euros, dont plus de 800 millions pour la police, selon un rapport de la commission des finances, fin 2024. Cela interroge également quant aux attentes des Parisiens en matière de sécurité, dont l’expérience des Jeux olympiques a sans doute donné une vision tronquée par l’abondance de moyens déployés.

Bibliographie

  • Bajc, V. 2016. Surveilling and Securing the Olympics : From Tokyo 1964 to London 2012 and Beyond, Londres : Palgrave Macmillan.
  • Boykoff, J. 2013. Celebration Capitalism and the Olympic Games, Londres : Routledge.
  • Chapitaux, M. 2024. « La cérémonie d’ouverture des JO de Paris 2024 : une faille dans l’organisation ? », Hérodote, n° 192, p. 67-77.
  • Crawford, A. 2008. « Plural policing in the UK : policing beyond the police », in T. Newburn (dir.), Handbook of Policing, Devon : Willan Publishing, p. 147-181.
  • Deltombe, T. 2008. « Armer les esprits : le business des experts à la télévision française », Au nom du 11 septembre, D. Bigo, L. Bonelli et T. Deltombe (dir.), Paris :La Découverte, p. 302-319.
  • Graham, S. 2011. Cities Under Siege. The New Military Urbanism, Londres : Verso Books.
  • Lindgaard, J. 2024. Paris 2024 : une ville face à la violence olympique, Paris : Éditions Divergenses, 2024.
  • Picaud, M. 2024. « #19 / Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 : sécuriser l’événement, surveiller la ville ? », Urbanités. Entretien avec M. Picaud, par S. Guillard, M. Bonte et C. Ruggeri.

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Pour citer cet article :

, « Allier festivités et sécurité : le jeu impossible de Paris 2024 ? », Métropolitiques , 19 juin 2025. URL : http://www.metropolitiques.eu/Allier-festivites-et-securite-le-jeu-impossible-de-Paris-2024.html
DOI : https://doi.org/10.56698/metropolitiques.2183

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