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Tenir : les Gilets jaunes, mouvement d’occupation de places publiques

Le mouvement des Gilets jaunes survenu à l’automne 2018 étonne par son ampleur comme par sa durée. Comme l’indique une enquête ethnographique conduite dans le Sud-Ouest, ce succès tient en partie aux ressources organisationnelles, symboliques et sociales qu’offrent l’occupation des ronds-points et la construction de cabanes.

Le mouvement des Gilets jaunes a démarré par une journée nationale de blocages et de manifestations organisée le 17 novembre 2018 sur le territoire français pour protester contre la hausse du prix des carburants, et plus généralement contre la baisse du pouvoir d’achat [1]. Elle a rassemblé, selon le ministère de l’Intérieur, environ 287 000 participants. Dix mois plus tard, le mouvement continue, redéployé et recomposé tant sur le plan de ses inscriptions spatiales que sur celui du nombre, des caractéristiques et des revendications de ses protagonistes. De nombreux témoignages montrent que les participants du 17 novembre n’anticipaient pas une telle durée. Ils pensaient plutôt participer à une mobilisation assez brève ou ne se projetaient pas dans la suite à donner à la mobilisation initiale. Qu’est-ce qui, dès lors, peut expliquer cette durée ? Comment rendre compte du redéploiement dans le temps de ce mouvement, sur différentes scènes sociales et selon différentes formes ? Ce texte montre que l’occupation des ronds-points et des cabanes est rapidement devenue l’un des vecteurs de la durée du mouvement.

Porté par un « sentiment d’injustice [2] » partagé par une partie des classes populaires et les fractions inférieures des classes moyennes, ce mouvement a en outre acquis une visibilité publique et une force politique par ses moyens d’action : d’une part les blocages (des routes ou des sites productifs), d’autre part des manifestations visant des lieux de pouvoir. Dans ces dynamiques, des ronds-points ont d’abord servi d’espaces de rassemblement pour mettre en place des blocages. Mais rapidement, beaucoup sont devenus des lieux de vie, qu’il s’est agi de tenir. Les Gilets jaunes se sont largement organisés à la faveur de la « sociabilité de rond-point [3] ». Focalisé sur ces lieux, ce texte vise à restituer les pratiques et les relations sociales qui les ont constitués en ressort crucial de ce mouvement, qui replace « la justice sociale au cœur du débat public [4] ».

L’analyse s’appuie sur une enquête ethnographique débutée en décembre sur deux ronds-points situés dans une petite ville du sud-ouest de la France (appelons-la « Treyssac »), où nous réalisons des observations régulières de lieux d’occupations et d’actions des Gilets jaunes. Venant au minimum une fois par semaine à Treyssac, nous faisons varier les observations selon le jour de la semaine et l’heure de la journée. En parallèle, nous effectuons des entretiens compréhensifs avec les participants et recueillons des matériaux écrits (tracts, comptes rendus de réunions, etc.).

Treyssac compte moins de 10 000 habitants et se situe à plusieurs dizaines de kilomètres d’une grande agglomération, où nombre de ses habitants travaillent. Ses taux de chômage (18 %) et de pauvreté (19 %) sont supérieurs à la moyenne nationale. La ville a placé Emmanuel Macron ou La République en marche en tête des suffrages à la dernière élection présidentielle et aux élections européennes, tandis que les localités environnantes tendent à voter préférentiellement pour le Rassemblement national.

Les participants au mouvement rencontrés sur les sites occupés sont en majorité des personnes d’âge moyen (entre 40 et 55 ans), occupent souvent des emplois d’ouvriers (pour les hommes), dans le bâtiment, les transports, l’industrie, et d’employées (pour les femmes), notamment dans les domaines du « care », des services à domicile ou encore de la vente. Des professions intermédiaires – travail social, médical et paramédical – ainsi que des travailleurs indépendants participent également. Ils côtoient des retraités et des personnes atteintes d’un handicap entravant la poursuite d’une activité professionnelle. D’autres participants ont à charge une personne handicapée. Par ailleurs, beaucoup d’enquêtés mentionnent des problèmes d’accès au marché du travail en raison d’une invalidité. Plusieurs syndicalistes contribuent à l’animation des sites occupés. La plupart des participants rencontrés habitent dans les petites villes et villages situés autour de Treyssac. Pour une partie non négligeable d’entre eux, cet engagement est leur première participation active à un mouvement de contestation sociale.

Des ronds-points aux cabanes. Rendre l’occupation durable

Le 17 novembre 2018, suite à des appels sur des groupes Facebook, des réunions publiques et des distributions de tracts, les Gilets jaunes de Treyssac et ses environs se réunissent au petit matin sur le parking d’un supermarché et décident d’occuper quatre ronds-points. Cette première journée d’action réunit entre 2 000 et 4 000 participants, selon les sources (presse locale, organisateurs). Rapidement, l’un de ces lieux de rassemblement, dont la situation à proximité d’un important axe routier est propice aux actions de blocage, apparaît comme le lieu principal du mouvement. Cette première journée est perçue par beaucoup comme un moment de basculement, sur le mode d’une révélation. De nombreux témoignages soulignent la possibilité inédite d’échanger sur ses conditions de vie avec d’autres, qui transforme le regard qu’on porte sur soi-même et sur la société : « Le 17 novembre, pour moi, c’est la précarité décomplexée », dit un travailleur social. Les rassemblements apparaissent à leurs protagonistes comme des moments de solidarité et de fraternité entre personnes ne se connaissant pas auparavant. Une protestation contre une taxe ou l’expression d’un « ras-le-bol » général se transforment ainsi en une revendication de dignité, voire une remise en cause profonde des élites et de la représentation politiques.

Sans tarder, le principal lieu d’actions est occupé jour et nuit. Dans les premiers jours, une tente montée au milieu du rond-point fait office d’abri. Des banderoles reprenant les slogans et revendications, portant à la fois sur le pouvoir d’achat et la représentation politique, sont déployées : « Qui bouffe notre pognon ? C’est Macron… » ; « Comment vivre avec le SMIC ? Niveau de survie ! »

Figure 1. Banderole déployée sur le premier rond-point occupé

© S. Bordiec et A. Bernard de Raymond

Vers la mi-décembre, après que le président de la République a annoncé des mesures répondant aux demandes des Gilets jaunes, les ronds-points occupés sont évacués par la gendarmerie. Certains participants estiment qu’il faut quitter les ronds-points pour se reporter vers les manifestations du samedi, déjà ritualisées sous la forme d’« Actes » successifs. D’autres invitent au contraire à « ne pas lâcher maintenant ». La vingtaine de présents opte pour un terrain situé à plusieurs kilomètres, sur un axe secondaire de circulation dans une commune limitrophe. Situé en contrebas d’un rond-point, l’endroit est un terrain privé mis gracieusement à disposition par son propriétaire. À la même période, sur un autre rond-point, un autre groupe décide de continuer l’occupation, cette fois-ci sur un champ contigu au rond-point précédemment occupé. Dans les deux cas, le choix d’un terrain privé permet de se prémunir, pour un temps, d’une évacuation. Ces réinstallations à proximité des ronds-points rendent manifeste le fait que l’occupation est devenue cruciale pour maintenir la dynamique de lutte, au-delà de l’organisation d’actions de blocage.

Plus encore, suite à ces relocalisations, les occupations changent de nature : désormais, celles-ci s’envisagent dans la durée. À l’occasion du changement de lieu, on construit « en dur » et on s’organise pour tenir en permanence les occupations. Il s’agit de mettre en place un lieu habitable où il est possible de dormir, prendre des repas et se rassembler. Sur le premier des ronds-points réoccupés, les participants s’attellent à la construction d’une « cabane » (baptisée « Maison du citoyen ») à partir de palettes en bois et de bâches, tandis que sur le second rond-point la remorque d’un camion est surélevée, à laquelle on ajoute un auvent. Les deux sites sont à nouveau parés de banderoles et de panneaux revendicatifs ainsi que de drapeaux français et d’emblèmes des groupes.

Figure 2. Sur le premier rond-point occupé, de simples tentes et des bâches en guise d’abri

© S. Bordiec et A. Bernard de Raymond

Faire avec, faire face aux autorités et à la population

Les occupations prolongées engagent des rapports de force avec les autorités, y compris quand elles ont lieu sur un terrain privé. Si les maires des deux communes concernées affichent une neutralité bienveillante à l’égard des Gilets jaunes, les rapports avec la gendarmerie et la sous-préfecture, chargées de surveiller les sites et de favoriser leur abandon, oscillent entre négociation et conflit. Ainsi, quand le spectre d’une éviction se précise, il arrive que les Gilets jaunes fassent front physiquement face aux gendarmes, et que ceux-ci procèdent à des interpellations et des gardes à vue.

La démographie de la mobilisation contribue à expliquer le passage d’actions de blocage à des occupations. Si, dans les premiers jours du mouvement, le nombre des participants et de rassemblements organisés sur tout le territoire compliquent les interventions des forces de l’ordre, la décrue des effectifs et la diminution du nombre de lieux de rassemblement rendent les blocages plus difficiles à organiser et facilitent l’individualisation de la répression policière et judiciaire [5]. Même s’il ne s’y réduit pas, le passage à un mouvement d’occupation revêt une dimension stratégique.

Au-delà des autorités publiques, les rapports avec la population locale jouent un rôle important dans les occupations, celles-ci ne pouvant se prolonger sans la solidarité de tiers. Cette solidarité peut se manifester de manière symbolique (gilet jaune disposé sur un tableau de bord de voiture, coups de klaxon) ou matérielle : dès le 17 novembre, le soutien de l’opinion se double de dons d’argent et de nourriture effectués sur les sites occupés. De même, pour tenir l’occupation, les Gilets jaunes ont besoin de palettes pour construire des abris, de bois de chauffage, de groupes électrogènes, etc. Toutes choses qui proviennent de dons, soit de participants à la mobilisation, soit de personnes exprimant ainsi leur sympathie.

Les Gilets jaunes doivent toutefois se prémunir aussi d’actes de malveillance. À Treyssac, ils expliquent ainsi avoir fait l’objet d’une tentative d’empoisonnement lors d’un don de nourriture et n’acceptent plus, depuis, aucun plat cuisiné. Les occupants font parfois l’objet d’insultes, de menaces, voire davantage, et doivent s’organiser pour assurer leur sécurité. C’est notamment ce qui les incite à organiser une présence permanente. Les épisodes nocturnes d’incendies de cabanes de Gilets jaunes, dont rend compte la presse, confortent cette idée.

L’occupation comme ressource : actions et solidarités

L’explication la plus évidente que l’on puisse donner à la transformation rapide de la mobilisation en mouvement d’occupation a trait aux contraintes propres à un mouvement « sans direction » (au double sens du terme). Sans procédure formelle de sélection des participants ni hiérarchie officielle, un mouvement comme celui des Gilets jaunes ne peut que difficilement contrôler les actions de ceux qui s’en réclament. Organiser des occupations peut alors permettre de maintenir les participants mobilisés, autant que possible.

Figure 3. Sous l’auvent, un lieu de convivialité

© S. Bordiec et A. Bernard de Raymond

Le fait que les participants bénéficient d’un lieu permanent destiné à leur accueil aide à donner corps à un collectif. De plus, les lieux d’occupations favorisent l’organisation des actions, qu’il s’agisse de blocages, d’opérations « péage ouvert » ou de manifestations. Comme le dit un personnage influent de la « Maison du citoyen », entrepreneur engagé pour la première fois dans un mouvement social : « Si tu perds ton point d’appui, c’est fini, tu feras plus rien. » Alors que les Gilets jaunes de la « Maison du citoyen » se rendent généralement aux manifestations du samedi dans la capitale régionale, ce lieu sert de point de départ de covoiturages. Ainsi, les Gilets jaunes de Treyssac arrivent ensemble, se regroupent sous une banderole mentionnant leur ville, et représentent « leur » territoire lors de la grande manifestation du samedi. De leur côté, les personnes tenant l’autre rond-point de la ville ont organisé chaque samedi jusqu’à la fin du mois de mars à Treyssac une « marche citoyenne ». La marche passe par le rond-point occupé, une halte permettant d’y partager un moment de convivialité. Enfin, les sites occupés peuvent servir de lieu de débat et de délibération pour discuter des suites à donner au mouvement, structurer les revendications et les objectifs politiques à travers des « Assemblées citoyennes [6] », ou encore organiser des événements – par exemple la projection du film de Gilles Perret et François Ruffin consacré aux Gilets jaunes, J’veux du soleil –, rendre compte de débats qui ont eu lieu ailleurs – notamment lors d’initiatives pour la structuration nationale du mouvement. Comme dans d’autres contextes, les occupations de places reflètent des aspirations fortes à l’horizontalité politique [7] avec, dans le cas des Gilets jaunes, un rejet marqué de la figure du chef [8].

Irréductibles aux actions protestataires, les occupations engagent d’autres formes d’expérience, liées à la sociabilité et à l’habitat précaire. La coprésence sur les ronds-points et les cabanes permet d’expérimenter des formes originales de solidarité et de délibération, qui tendent à faire des lieux occupés des places publiques [9].

Forces de rassemblement : les cabanes comme aimants

Pour toutes et tous, l’occupation des cabanes nécessite de produire de la disponibilité biographique, d’aménager un temps spécifique concurrent d’autres contraintes sociales (travail, famille, etc.). Cette capacité à dégager du temps pour l’occupation est différenciée selon les caractéristiques des personnes. Outre le fait qu’en fonction de ces caractéristiques, on n’est pas présent sur le rond-point aux mêmes heures de la journée [10] ni les mêmes jours de la semaine, toute occupation de rond-point ou de cabane distingue un « noyau dur » de l’occupation d’autres participants moins présents. Les personnes formant le premier cercle de l’occupation contribuent à définir la tonalité du site occupé et conditionnent le choix des participants moins réguliers de se fixer sur tel ou tel rond-point.

Dans les deux sites observés, les logiques familiales jouent un rôle ; on y rencontre fréquemment des couples et des fratries. À l’inverse, pour certaines personnes connaissant des formes d’isolement social, la présence et les échanges à la cabane permettent de retrouver symboliquement « une famille ». Si le rôle des retraités dans les occupations de ronds-points a déjà été décrit, il faut aussi souligner celui, tout aussi prépondérant, des personnes atteintes de handicap.

L’occupation continue des cabanes engendre des partages de tâche, qui sont indissociablement des tâches de partage. Ces partages sont inégalement formalisés et stabilisés. Sur l’un des sites, les participants instaurent un tableau de gestion des « postes », attribuant des responsabilités à une ou deux personnes estimées compétentes dans un ou plusieurs domaines – construction, courses, caisse commune. D’autres tâches sont désignées comme devant être partagées par l’ensemble des participants – le rangement, la vaisselle. Les Gilets jaunes incapables de se conformer à ces attentes collectives s’exposent à des rappels à l’ordre ou des invitations à partir. L’occupation est le fait de personnes ayant une place à gagner puis à conserver. Les places les plus coûteuses physiquement et mentalement sont celles des Gilets jaunes qui dorment sur les lieux, supportent le froid des nuits, les insultes des automobilistes et la crainte des agressions. Coûteuses, ces places sont aussi pourvoyeuses des plus grandes gratifications symboliques, puisque les autres Gilets jaunes leur doivent de pouvoir jouir de ces lieux en permanence.

Figure 4. Un habitat éphémère, qui doit résister aux intempéries

© S. Bordiec et A. Bernard de Raymond

L’un des aspects le plus fréquemment soulignés par les enquêtés pour expliquer l’intensité de leur engagement tient au fait de « rencontrer des gens de tous milieux », « des gens que je n’aurais jamais rencontrés sans les Gilets jaunes ». S’ils ont en commun le fait de résider aujourd’hui dans l’espace local, leurs trajectoires résidentielles diffèrent. On peut à cet égard distinguer trois groupes : les « autochtones », qui ont toujours vécu dans l’espace local ; les « exclus de la métropole », souvent issus des classes moyennes et arrivés dans ce territoire récemment, repoussés par l’augmentation des prix de l’immobilier dans la grande ville régionale ; et les « allochtones », généralement issus des classes populaires et venus d’une autre région française. Les contacts entre ces personnes aux trajectoires différentes constituent peut-être un des ressorts principaux de la durée du mouvement. Les retraités et les plus jeunes devisent à la chaleur d’un brasero sur leurs vies et l’avenir du mouvement. Les travailleurs stables écoutent les personnes sans emploi parler de leurs problèmes familiaux et de santé. Des « locaux » se lient d’amitié avec des personnes installées plus récemment. Des syndicalistes « de gauche » et des sympathisants d’extrême droite passent plusieurs heures les uns à côté des autres. Pendant que, au fil des semaines, certains décrochent néanmoins des ronds-points occupés, d’autres s’y accrochent. Pour ceux-là, l’occupation est une transformation heureuse du style de vie. La cabane peut devenir un « chez-soi » dont l’idée de devoir le quitter est désagréable.

Avec la centralité des pratiques d’occupation, les normes organisant la vie collective (parfois explicitement codifiées lors de réunions) étalonnent les comportements individuels et participent de la définition de ce qu’est être un « bon » Gilet jaune. La consommation d’alcool est un objet clé de la régulation de la vie des cabanes. Explicitement prohibée sur l’un des ronds-points tenu par un couple et plusieurs femmes, elle est admise sur l’autre rond-point mais donne parfois lieu à des débordements, suite auxquels certaines personnes sont « invitées à partir ».

Par-delà les styles de vie, la nécessité que les cabanes tiennent pour que le mouvement tienne (et réciproquement) relève de préoccupations inextricablement individuelles et collectives. Ces Gilets jaunes révèlent ainsi les ressorts affectifs, les aspirations de fraternité, le manque ressenti, voire l’absence antérieure de supports relationnels, moteurs de l’éclosion puis de la continuation du mouvement. On peut ici émettre une hypothèse : les occupations de ronds-points ne revêtent pas seulement une dimension stratégique, elles s’inscrivent aussi dans l’écologie sociale des zones périurbaines et des petites villes et contribuent à recréer une forme de centralité sociale à laquelle beaucoup de participants au mouvement estiment ne plus avoir accès.

Forces de réputation : les cabanes comme vitrines des engagements

Les sociabilités d’occupation des ronds-points permettent de construire un entre-soi et d’entretenir la cohésion du groupe. Mais les cabanes jouent aussi un rôle de vitrine et de représentation du groupe mobilisé auprès de différents publics. Estimant faire l’objet d’un traitement injuste par les médias traditionnels, les Gilets jaunes occupant les ronds-points s’attachent à donner une bonne image de leur mouvement auprès de différents tiers. Tout d’abord, des banderoles installées à proximité des cabanes invitent les personnes passant à proximité à s’arrêter pour discuter, voire rejoindre le mouvement, ce qui se produit parfois. Les échanges avec la presse sont considérés à la fois comme vitaux et devant faire l’objet d’un contrôle spécifique. Certains refusent de parler aux journalistes tandis que d’autres acceptent de s’exprimer, espérant que leurs témoignages donneront une image des Gilets jaunes selon eux plus fidèle à « la réalité ». Pour les occupants, les inflexions possibles de leur réputation passent aussi par l’impulsion d’initiatives socio-économiques. Il s’agit, notamment, de diversifier l’activité des lieux occupés et, par là même, de diversifier les types de visiteurs. Ceci permet de faire valoir les motivations et revendications des Gilets jaunes auprès de tiers et de montrer une capacité à élaborer des solutions aux problèmes de pouvoir d’achat et d’organisation économique. Enfin, les sites occupés peuvent jouer un rôle de « permanence sociale », des individus se présentant parfois spontanément sur une cabane pour demander de l’aide afin de régler un problème personnel [11].

Figure 5. Accueillir des tiers – « N’hésitez pas, nous vous proposons un café, de l’eau... »

© S. Bordiec et A. Bernard de Raymond

***

Si le mouvement des Gilets jaunes a souvent mis en avant le motif de la colère, voire du ressentiment envers les élites, cette mobilisation, dans sa dimension d’occupation et d’invention de places publiques, répond aussi à une aspiration à la solidarité. Cependant, tenir un rond-point ou une cabane ne va pas de soi et demande des ressources et des compétences. On peut en tout cas noter que lorsque le maintien d’une occupation offre en retour la possibilité de « tenir » le groupe mobilisé, ceci permet de continuer à mener des actions, d’organiser des pratiques délibératives et d’expérimenter des formes originales de vie en communauté et de solidarité. L’observation de ces pratiques est essentielle pour comprendre les effets du mouvement sur ses protagonistes et, partant, saisir ce qui peut advenir politiquement de la mobilisation des Gilets jaunes.

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Pour citer cet article :

Antoine Bernard de Raymond & Sylvain Bordiec, « Tenir : les Gilets jaunes, mouvement d’occupation de places publiques », Métropolitiques, 14 octobre 2019. URL : https://metropolitiques.eu/Tenir-les-Gilets-jaunes-mouvement-d-occupation-de-places-publiques.html

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