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Supernatural « small-town America ». Errance hantée dans les vestiges de l’Amérique industrielle

Avec Supernatural, Élisabeth Tovar nous propose une lecture originale d’un monde rarement exploré par les séries américaines, celui de la « small-town America ». Dénonçant souvent la morale puritaine des « small-town values » défendues par Sarah Palin, la série présente les petites villes américaines comme un monde privé de mémoire, hypocrite et artificiel, dont il faudrait déterrer les fantômes du passé pour en sauver l’âme éternelle.


Dossier : La ville des séries télé

Attention spoilers : cet article divulgue des éléments clefs de tous les épisodes diffusés à ce jour.

Supernatural, petite série fantastique diffusée par The CW (TF6 et M6 en France), raconte le combat que mènent les frères Winchester contre l’armada de monstres qui hantent l’imaginaire de la pop culture contemporaine : dames blanches, vampires, fantômes, loups-garous, démons, poltergeists, dragons, dieux grecs, hindous, scandinaves ou égyptiens, faucheuses, spectres, Léviathans, anges et sorcières... Offrant à ses spectateurs leur ration d’épouvante (et d’humour) hebdomadaire, c’est aussi une fenêtre ouverte sur un monde rarement exploré par les séries américaines, celui de la small-town America.

Une fenêtre ouverte sur le « lost continent » américain, loin de Metropolis et de sa suburbia

Sur les plus de 130 épisodes diffusés à ce jour, les incursions de Sam et Dean Winchester dans les grandes métropoles américaines se comptent sur les doigts d’une main, et sont presque toujours motivées par un cas de force majeure – qu’il s’agisse de retrouver le démon aux yeux jaunes qui a détruit leur famille (Shadow, 1.16 – épisode 16 de la saison 1), de faire la lumière sur la mort mystérieuse d’un vieil ami de la famille (Usual Suspects, 2.07), d’enquêter sur l’emprisonnement injuste d’un camarade de fac (Skin, 1.06) ou d’empêcher la Mort de détruire Chicago (Two Minutes to Midnight, 5.21). Symétriquement, les frères Winchester n’apprécient pas particulièrement les vastes étendues sauvages. Ils ne s’y aventurent, contraints et forcés, que lorsqu’un homme des bois dégénéré décide d’améliorer son ordinaire avec des promeneurs innocents (Wendigo, 1.02) et refusent alors obstinément toute concession au milieu naturel.

Supernatural partage avec de (rares) autres séries comme Carnivàle (HBO, 2003-2005), la bien nommée Smallville (Warner Bros. Television puis The CW, 2001-2011) ou encore le mythique Twin Peaks (ABC, 1990-1991) son ancrage dans la small-town America, cette Amérique éternelle des petites villes qui parsèment les Grandes Plaines du Midwest [1]. D’épisode en épisode, les frères Winchester parcourent ce grand Océan intérieur (le « lost continent » célébré par l’auteur américain Bill Bryson). Au volant de leur fidèle Chevrolet Impala noire de 1967, ils jettent l’ancre, le temps d’un exorcisme, dans des bleds paumés aux noms évocateurs (cf. Carte 1) : Lawrence (Kansas), Sioux Falls (Dakota du Sud), Jericho (Californie), Salvation (Iowa), Duluth (Minnesota), Nazareth (Pennsylvanie), Cicero (Indiana), Ypsilanti (Michigan), New Harmony (Indiana), Pontiac (Illinois), Carthage (Missouri)...

On est donc loin de l’univers de la jungle des grandes villes américaines, pourtant souvent à l’honneur dans les « shows » les plus populaires : en témoignent les trois déclinaisons des Experts (CTV-CBS, 2000-), la puissante évocation d’un Baltimore sépia et sinistré dans Homicide (NBC, 1993-1999) puis The Wire (HBO, 2001-2008), ou la façon dont la magnifique Treme (HBO, 2010-) chante la Nouvelle-Orléans [2]...

Carte 1 : Les déplacements de Sam et Dean Winchester pendant les six premières saisons de Supernatural (plus les déplacements sont récents, plus la couleur est foncée ; la taille des pastilles est proportionnelle au nombre de visites réalisées). Source : Xiaoji’s Design Weblog, 2010.

Un territoire vierge de l’emprise de la société de consommation

Vue à travers le filtre de Supernatural, la small-town America se structure autour des mêmes lieux, éternellement déclinés à l’infini au fil des épisodes : motel, diner, cimetière (l’unique façon de se débarrasser d’un esprit vengeur est de déterrer, de saler et de brûler ses restes), bibliothèque (pour trouver où sont enterrés lesdits restes), bureau du shérif local (ou parfois ses geôles, les nuits de déveine) (cf. Photo 1)...

Photo 1 : Petite ville coquette dans les montagnes de Californie (photo : etovar).

La série dessine ainsi par petites touches le portrait d’une Amérique éternelle, préservée, figée dans un mode de vie simple et rassurant – mais au final bien peu réaliste. Significativement, Supernatural gomme de ses écrans d’autres lieux pourtant symboliques de l’Amérique réelle, labourée par les franchises et menacée de walmartisation : mis à part les bars un peu glauques où Sam et Dean plument les locaux au poker ou au billard, on n’entraperçoit que très rarement des lieux de commerce ou de loisirs [3]. Les rares fois où la caméra est plantée à l’intérieur d’une boutique, il s’agit soit de dénoncer la société de consommation, soit de mettre en scène le gouffre infranchissable qui sépare les personnages principaux du monde « normal ». Ainsi, dans The Magnificent Seven (3.01), le démon-péché capital de l’Envie pousse une cliente à en assassiner une autre pour une paire de chaussures vertes. Il faut attendre la saison 6 avec Two and a Half Men (6.02) pour voir les frères Winchester s’aventurer, mal à l’aise, dans un supermarché – où ils vont créer un bel émoi en trucidant un méchant métamorphe déguisé en gentille vieille dame...

Plus généralement, les héros de Supernatural se tiennent curieusement [4] à l’écart des grandes franchises qui pourtant dominent tant l’espace du réel américain. Sam et Dean ne mettent jamais les pieds dans un McDonald’s, un Burger King, un KFC ou un Wendy’s : épisode après épisode, ils dégustent au contraire des apple pie maison dans des diners à l’ancienne où ils sont servis par d’accortes serveuses qui parfois se révèlent être de dangereuses créatures (Are You There, God ? It’s Me, Dean Winchester, 4.02 ; Mommy Dearest, 6.19). Jamais de Holiday Inn ou de Motel 6 non plus : saison après saison, quand ils ne squattent pas les maisons saisies après la crise des subprimes et laissées à l’abandon (Free To Be You and Me, 5.03 ; Unforgiven, 6.13), Sam et Dean prennent une chambre double dans des motels familiaux miteux, meublés avec un mauvais goût absolu par les décorateurs de la série – dont les fans attendent avec gourmandise les trouvailles kitschissimes (pour un petit florilège, c’est , ici, ici, encore ici, , aussi, ou encore ). On retrouve là encore des thèmes communs avec l’ode de Bill Bryson à l’Amérique profonde, paru dans sa traduction française sous le titre de Motel blues.

Une Amérique industrielle en déclin

Préservée de la société de consommation, la small-town America de Supernatural vit dans un monde économique industriel marqué par le déclin, en complète rupture avec l’univers compétitif et propret de l’Amérique innovante, high-tech et chic de la grande ville.

Photo 2 : Le décor est déjà planté dans le premier épisode (Pilot, 1.01). Source : http://www.supernaturallocations.com.

C’est comme si les petites villes américaines du Midwest que traversent Sam et Dean n’étaient composées que d’une succession d’entreprises périclitantes (cf. Photo 2) ou de lieux autrefois prestigieux mais en passe d’être condamnés sur l’autel de la modernité et de la rentabilité : beau manoir familial reconverti en hôtel et aujourd’hui menacé de faillite (Playthings, 2.11), fêtes foraines miteuses autrefois reines des loisirs de tout le Midwest (Everybody Loves a Clown, 2.02)... Souvent, la catastrophe économique a déjà eu lieu, et ce sont alors des maisons, mines, fermes ou granges à l’abandon ou encore des hôpitaux psychiatriques, usines, voire prisons désaffectés que les frères Winchester débarrassent de leurs infestations surnaturelles (Asylum, 1.10 ; Wendigo, 1.02 ; Hell House, 1.17 ; Bloodlust, 2.03 ; Yellow Fever, 4.06 ; Unforgiven, 6.13 ; Fight for Your Life, 7.04...). Parfois, c’est la ville entière qui est elle-même condamnée sur l’autel du progrès économique, comme dans Dead In The Water (1.03), où un barrage géant doit bientôt submerger la petite ville de Lake Manitoc pour alimenter en électricité le reste du comté.

Le déclin de la small-town America se retrouve dans le déclassement et l’errance géographique croissants de Sam et Dean Winchester. Venant d’un milieu de blue-collars [5] fiers de leur travail et sûrs de leur place dans la société (leur père, marine vétéran de la guerre du Vietnam, possédait son propre garage), Sam et Dean sont nés dans une jolie maison à Lawrence, au cœur du Kansas (Home, 1.09). Après le meurtre horrifique de leur mère par le démon Azazel (Pilot, 1.01), leur père, ivre de chagrin et de vengeance, les ballotte de ville en ville dans l’espoir de retrouver le monstre responsable de cette tragédie. Sam et Dean vivent alors une enfance de white trash à la limite de l’extrême pauvreté, livrés à eux-mêmes dans un cortège de parcs à caravanes et de motels mal famés : dans A Very Supernatural Christmas (3.08), un flashback dépeint le jeune Dean volant des cadeaux de Noël pour son frère dans une maison voisine ; dans Something Wicked (1.18), on le voit rationnant les céréales qui leur servent de souper...

Adultes, les frères Winchester sont littéralement sans domicile fixe, et les scénaristes de la série veillent d’ailleurs à régulièrement détruire les rares lieux où ils pourraient trouver refuge, comme la Roadhouse d’Ellen et de Jo Harvelle ( All Hell Broke Loose I , 2.21) ou la maison de Bobby Singer ( Hello, Cruel World , 7.02)... Condamnés à être pour toujours « sur la route » [6], c’est la small-town America toute entière qui devient leur écosystème. Ils en relient les éléments éparpillés au volant du « Metallicar », relique [7] grondante et vaguement menaçante de l’époque – révolue à jamais – de la gloire des petites villes américaines (cf. Photo 3).

Photo 3 : Le Metallicar en action dans Fight for Your Life (7.04). Source : http://images5.fanpop.com.

Les lieux de succès et de pouvoir, des lieux d’oppression et de perdition

Lorsque la série s’éloigne de l’univers industriel, marginal et pauvre des petites villes américaines pour s’aventurer dans des lieux de pouvoir ou de succès économique, elle adopte souvent un point de vue très critique.

En général, la richesse est suspecte dans Supernatural. Loin du mythe du self-made man qui fait écho à la morale puritaine de la prédestination, à mille lieux de l’élégie de la success story à l’américaine, Sam et Dean dévoilent souvent les origines sinistres des bonnes fortunes inespérées : richesse, talent, carrières fulgurantes découlant de pactes avec des démons (Crossroads Blues, 2.08 ; Red Sky at Morning, 3.06 ; Swap Meat, 5.12) ou d’actes de sorcellerie (Malleum Maleficarium, 3.09 ; Shut Up, Dr. Phil, 7.05), lotissements de luxe construits sur des sépultures indiennes (Bugs, 1.08), guérison miraculeuse payée par la mort d’étrangers innocents (Faith, 1.12) ou la damnation éternelle (In My Time of Dying, 2.01 ; All Hell Breaks Loose II, 2.22)... En écho, les lieux du succès de l’Amérique entrepreneuriale et bureaucratique sont dépeints comme des lieux d’oppression, d’aliénation, de punition et de torture.

Lors de la finale de la saison 4 (Lucifer Rising, 4.22), c’est dans un vestibule Grand Siècle aux dorures tapageuses (ici) que l’archange Zachariah enferme Dean pour éviter qu’il n’empêche Sam de libérer Lucifer – une occasion fort attendue tant par les anges que par les démons, tous impatients d’en découdre pendant l’Apocalypse. L’imposture de ce lieu apparemment somptueux est révélé quelques épisodes plus tard lorsque l’on voit cette pièce de l’extérieur, simple cube en planches posé au beau milieu de l’habituel entrepôt désaffecté (Point of No Return, 5.18).

Dans la saison 6, l’archange Raphael – un conservateur qui partage les vues politiques de Zacharie – est logé dans le bureau opulent de Ken Lay, le PDG récemment décédé d’Enron et qui a gagné, on ne sait comment, son ticket pour le Paradis (The Man Who Would Be King, 6.20).

Une autre fois, Zachariah implante des Sam et Dean privés de mémoire dans une vraie entreprise florissante qui occupe un imposant gratte-ciel historique dans une grande ville (It’s a Terrible Life, 4.17). En réalité, elle est hantée par son fondateur, un fantôme tayloriste glaçant qui pousse ses employés à un productivisme suicidaire. Même privés de leur savoir-faire de Winchester, Sam « Smith » et Dean « Wesson » détruisent ce spectre du « travailler plus pour gagner plus ». Surtout, ils choisissent, sous voile d’ignorance, d’abandonner leur vie d’employés à l’artificialité soulignée par une photographie criarde pour embrasser le mode de vie nomade, dangereux et désespéré qui leur a été imposé dans leur existence réelle par leur père, les circonstances et leur affection réciproque [8].

Les lieux du pouvoir administratif sont traités avec la même défiance : dans le camp du Mal, lorsque l’entreprenant démon Crowley devient Prince des Enfers, il tourne le dos à la tradition moyenâgeuse (ici et ) au profit d’un univers bureaucratique moderne et performant où les âmes endurent une attente infinie devant des guichets éternellement fermés (The Man Who Would Be King, 6.20).

Dans Supernatural, les sbires du Bien et du Mal occupent des lieux opulents qui suffisent à les discréditer aux yeux des protagonistes ; par contraste, lorsqu’ils se laissent aller à rêver [9] à une « apple-pie life » loin du surnaturel, Sam et Dean s’imaginent un quotidien sans histoire vécu dans une maison clôturée de blanc anonyme au sein d’une banale petite ville américaine.

La dénonciation de « small-town values » puritaines et étriquées

Pour autant, il serait erroné de penser que Supernatural dépeint la small-town America comme une succession de boules à neige étanches mettant en scène des communautés parfaites à taille humaine, lieux de paix, d’harmonie, de tolérance et d’épanouissement individuel. Les frères Winchester sont, en effet, rarement les bienvenus dans les petites villes bien comme il faut de l’Amérique profonde. Souvent, c’est simplement parce que les apparences sont contre eux (comme ici).

Au-delà, c’est parce qu’ils incarnent des valeurs en rupture complète avec le puritanisme qui fonde les « small-town values » revendiquées par Sarah Palin lors de la campagne électorale républicaine de 2008 (voir ici et ici). La série s’inscrit ouvertement en opposition avec ces valeurs : lorsque Dean est projeté dans un futur apocalyptique, il réalise avec effroi que Palin est présidente des États-Unis (et qu’elle vient de bombarder Houston, cf. ici). La croyance dans la prédestination, signe de la providence divine, est un élément central des valeurs puritaines ; or les trois dernières saisons de la série décrivent la résistance acharnée et de plus en plus désespérée des protagonistes contre une destinée fratricide pourtant littéralement voulue par Dieu [10]. Sam et Dean constituent avec l’ange déchu Castiel un « Team Free Will » humaniste qui rejette obstinément l’obéissance puritaine au plan divin (The End, 5.04 ; Changing Channels, 5.08 ; The Song Remains the Same, 5.13...).

La série égratigne aussi à d’innombrables reprises la morale conservatrice de l’Amérique puritaine. Souvent, c’est parce que les locaux prennent les frères Winchester pour un couple d’amants (Bugs, 1.08 ; Something Wicked, 1.18 ; Playthings, 2.11 ; The Monster at the End of this Book, 4.18 ; The Real Ghostbusters, 5.19...). Cette méprise récurrente ravit les fans mais permet aussi de dénoncer, mine de rien, l’intolérance provinciale de la small-town America. Au début de la saison 7, cette dénonciation prend une tournure bien plus explicite : l’ange Castiel, ami de longue date des frères Winchester, acquiert des pouvoirs immenses qui le conduisent à se prendre pour le nouveau Dieu (Meet the New Boss, 7.01). Son premier acte d’autorité sur Terre est de foudroyer publiquement le virulent prêcheur homophobe de « l’Église de la Sérénité ». Le second est... de démanteler le Ku Klux Klan [11].

Au-delà, Supernatural souligne volontiers le carcan moral et la bigoterie des petites communautés puritaines du Midwest. Dans Hook Man (1.07), la fille du pasteur déchaîne un personnage de cauchemar contre ceux qu’elle pense faillir à la morale puritaine dans laquelle elle a été élevée : son petit ami parce qu’il aimerait coucher avec elle, son père parce qu’il a une aventure avec une femme mariée. Dans Faith (1.12), la femme d’un autre pasteur sauve la vie de croyants très malades et condamne à leur place ceux qu’elle considère être des déviants (un enseignant gay, une défenseure du droit à l’avortement, un opposant athée...). Dans 99 Problems (5.19) c’est la fille démoniaque d’un troisième pasteur qui déclenche une chasse aux sorcières destinée à purger la communauté de ses éléments « nuisibles » (dont un libre-penseur propriétaire du seul bar de la ville)... Dans Scarecrow (1.11), le repli sur soi de la small-town America devient explicitement une xénophobie criminelle : dans cet épisode, Sam et Dean découvrent que pour préserver leur ville du déclin économique qui frappe les alentours, les habitants de Burkitsville, dans l’Indiana, sacrifient tous les ans un jeune couple de passage à un effrayant dieu scandinave à l’allure d’épouvantail. À l’extrême, la small-town America fermée et rétrograde risque la dégénérescence culturelle et le retour à l’animalité : dans The Benders (1.15), Sam est kidnappé non pas par le monstre de la semaine, mais par une famille de rednecks tout droit sortie de Délivrance, résultat consanguin et extrême de l’isolationnisme parfois prôné par certaines communautés américaines bien réelles.

Photo 4 : Cette minuscule ville perdue dans les Rocheuses dispose pourtant d’un arrêt sur la ligne de chemin de fer historique qui relie San Francisco à Chicago (photo : etovar).

Un univers hypocrite dont il faut déterrer le passé coupable

Au-delà de ce conservatisme moral et de son manque d’hospitalité envers les étrangers, le péché capital de la small-town America est d’être hypocritement construite sur un passé coupable. Dans Supernatural, le rôle des protagonistes est de fouiller dans le passé, de faire émerger les drames occultés par le vernis bien-pensant et mensonger de la normalité d’un rêve américain littéralement construit sur les corps de générations sacrifiées à sa réalisation. Le pouvoir, destructeur ou bénéfique, que confère la douloureuse mais nécessaire confrontation avec le passé est un thème récurrent dans la série. Lors de la finale épique de la saison 5, c’est ainsi la compilation des souvenirs véhiculés par le Metallicar, à cet instant « l’objet le plus important de l’univers » (ici) qui permet à Sam de prendre le dessus sur Lucifer, mettant ainsi un terme à l’Apocalypse et sauvant littéralement le monde (Swan Song, 5.22).

Photo 5 : La mythique gare de Grand Junction, au milieu des Grandes Plaines, est à vendre. Un lieu qui pourrait bien réclamer la présence des frères Winchester... (photo : etovar, février 2011).

La small-town America est coupable d’oubli et d’ignorance. Bon nombre des maux surnaturels qui l’assaillent pourraient être évités si les malheurs du passé n’avaient pas été refoulés, ignorés, littéralement enterrés ou emmurés : les fantômes font payer aux vivants les horreurs subies dans le passé (Route 666, 1.13 ; Roadkill, 2.16 ; Yellow Fever, 4.06 ; Mannequin 3 : The Reckoning, 6.14 ; Fight for Your Life, 7.04...), des nuées d’insectes dévorent les prospecteurs immobiliers qui ont construit leur bulle au-dessus d’un lieu où les Indiens ont été massacrés par les colons (Bugs, 1.08), les démons viennent réclamer le prix du succès et de la gloire...

Épisode après épisode, en restituant dans le sang, les larmes et les projections d’ectoplasme leur Histoire aux petites villes oubliées de l’Amérique, Sam et Dean réveillent sa mauvaise conscience mais sauvent son âme éternelle. Anarchistes marginaux, ils se font passer [12] pour les représentants d’un pouvoir central défaillant qui n’accorde aucune attention au destin d’une small-town America elle aussi condamnée à la marginalité. En déterrant ses traumatismes passés, ils permettent la destruction de la part sombre de son héritage et la préservent du mal – peut-être pas pour les siècles des siècles, mais au moins pour quelques saisons d’une série qui nous divertit tout en nous proposant une balade humaniste et désespérée parmi les vestiges hantés de l’Amérique industrielle en déclin.

Encadré : Supernatural, « the road so far »

(cf. le site de The CW : http://www.cwtv.com/shows/supernatural/about)

Il y a 22 ans, la mère de Sam Winchester (joué par Jared Padalecki) et de Dean Winchester (joué par Jensen Ackles) est tuée par une mystérieuse entité surnaturelle. Suite à ce drame, leur père (John Winchester, joué par Jeffrey Dean Morgan) prend la route et élève ses deux fils comme des soldats dans la lutte contre les forces du mal. Il leur apprend le « family business », c’est-à-dire comment traquer et détruire les monstres malveillants qui hantent les coins sombres et les petites routes des États-Unis. Au cours des six saisons de la série (une septième est en cours de diffusion aux États-Unis et au Canada), on découvre de nouveaux adversaires surnaturels, on en apprend plus sur la destinée têtue des frères Winchester et on vit avec eux les hauts et les bas d’une relation fraternelle d’exception.

Supernatural est une série produite par Warner Bros. Television en association avec Wonderland Sound and Vision. Créée par Éric Kripke qui en a tenu les commandes jusqu’à la saison 5, ses producteurs exécutifs sont maintenant McG, Robert Singer, Sera Gamble et Phil Sgriccia.

Supernatural vient de débuter sa septième saison aux États-Unis.

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Le lecteur curieux trouvera dans cette courte liste d’épisodes matière à illustrer le propos de cet article :

  • Home (saison 1, épisode 9),
  • Scarecrow (saison 1, épisode 11),
  • The Benders (saison 1, épisode 15),
  • Provenance (saison 1, épisode 19),
  • What Is and What Should Never Be (saison 2, épisode 20),
  • A Very Supernatural Christmas (saison 3, épisode 8),
  • Yellow Fever (saison 4, épisode 6),
  • It’s a Terrible Life (saison 4, épisode 17),
  • Swan Song (saison 5, épisode 22).

Pour citer cet article :

Élisabeth Tovar, « Supernatural « small-town America ». Errance hantée dans les vestiges de l’Amérique industrielle », Métropolitiques, 7 novembre 2011. URL : https://metropolitiques.eu/Supernatural-small-town-America.html

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