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Renaturer les rivières urbaines

Le projet du ruisseau des Planches à Lyon
La renaturation des eaux urbaines est un levier du renouvellement urbain qui dépasse l’intérêt écologique. L’exemple du ruisseau des Planches à Lyon montre que la reconquête des petites rivières urbaines peut bénéficier aux opérations d’urbanisme.

La ville de Lyon est une des premières en France à avoir entrepris la reconquête de ses cours d’eau. Après l’adoption du « Plan Bleu » en 1991, la ville a édifié la Cité internationale inaugurée en 2006, et la première tranche d’un vaste éco-quartier, « Lyon Confluence », a été livrée en 2012. La transformation des rives de Saône a débuté voici deux ans et les berges du Rhône ont été réaménagées entre 2002 et 2007. En vingt ans, donc, d’anciennes friches industrialo-portuaires ont été urbanisées et le parc de la Tête d’Or est désormais relié à celui de Gerland par des circulations douces. Cette stratégie urbaine a amélioré l’image de la ville.

Au plan écologique, toutefois, l’aménagement fluvial se limite à paysager les berges (Bonin 2008) car les travaux réalisés jadis (enfouissement des petites rivières urbaines, endiguement, etc.) n’ont pas été remis en cause. Dans ce contexte, la reconquête des petites rivières a pu paraître illusoire, et ce d’autant plus que ces cours d’eau n’offrent pas de berges susceptibles d’intéresser les aménageurs. En outre, le statut de ces eaux [1] et la fonction d’égout qui leur est dévolue encore aujourd’hui les rendent peu commodes à valoriser.

La restauration des rivières semble cependant possible à condition qu’elle devienne une entrée prioritaire du projet urbain. C’est ce que suggèrent les résultats d’un atelier universitaire d’urbanisme portant sur la renaturation du ruisseau des Planches, un des nombreux petits cours d’eau de l’ouest lyonnais [2].

La renaturation : un concept désormais opératoire ?

La plupart des rivières urbaines sont toujours dégradées (Morley et Karr 2002). Construire des stations d’épuration ne suffit pas car l’état écologique des rivières est autant lié aux processus hydrologiques et hydromorphologiques qu’à la qualité de l’eau elle-même, d’où l’intérêt de les renaturer (Adam et al. 2007).

La renaturation des cours d’eau désigne le retour à un état considéré comme « naturel ». Il s’agit en particulier d’entreprendre des travaux de restauration physique des milieux allant jusqu’au reméandrage de rivières autrefois canalisées. Plus de 160 projets et réalisations sont recensés dans le monde, dont les trois quarts sont localisés en Europe et en Amérique du Nord (Idarraga 2010).

À quelques exceptions près, comme la renaturation de la basse rivière Saint-Charles à Québec (Brun et Simoens 2012) ou l’Emscher Park en Allemagne (Scherrer 2004), la plupart des travaux ont été réalisés en milieu rural. Le Drugeon (affluent du Doubs) – reméandré sur plusieurs kilomètres à la fin des années 1990 – compte parmi les exemples les plus spectaculaires. Dans le cas du ruisseau des Planches, il s’agit de renaturer le cours d’eau en pleine ville tout en répondant aux priorités affichées par les élus : sauvegarde des emplois, construction de logements et de bureaux.

Le ruisseau des Planches : une continuité entre le plateau de la Duchère et la Saône

Le ruisseau des Planches prend sa source dans les monts d’Or, au nord de Lyon. Il parcourt 11 km et draine un bassin versant de 28 km². À Vaise [3], en aval de la confluence avec le ruisseau des Gorges, il est d’abord corseté par des murets anti-crue sur 300 mètres avant d’être enterré jusqu’au quai Jaÿr, où il se jette dans la Saône.

Son débit, qui pourrait atteindre 65,9 mètres cubes par seconde à l’exutoire (en cas de forte crue), explique son enfouissement dans un secteur déjà exposé aux inondations de la Saône. Mais ce n’est pas tant le risque d’inondation ou la médiocre qualité des eaux du ruisseau que son tracé qui suscite l’intérêt du géographe. Le ruisseau relie le plateau de la Duchère et les balmes [4] à la rive droite de la Saône. Il agrafe aussi les secteurs industriels et d’habitation respectivement localisés à l’ouest et à l’est de la voie de chemin de fer qui traverse Vaise depuis 1854.

Les acteurs locaux interrogés lors du diagnostic territorial ont identifié l’aménagement du ruisseau comme un moyen de créer une liaison urbaine doublée d’une continuité écologique entre les coteaux boisés et la Saône. La renaturation du ruisseau ouvre, de surcroît, des perspectives aux aménageurs car plusieurs parcelles riveraines pourraient devenir constructibles alors qu’à moyen terme les disponibilités foncières se raréfient à Vaise.

Le Grand Lyon réfléchit au devenir de l’îlot « Maurin » (2,5 hectares), du nom d’une entreprise encore implantée à l’est de la voie de chemin de fer qui traverse Vaise. En cas de libération de cet îlot, la municipalité ferait le choix d’y implanter bureaux et logements. Ce scénario permet – si le maître d’ouvrage y consent – de ré-ouvrir le ruisseau des Planches sur 170 mètres, mais il ne crée aucune continuité, faute d’associer les parcelles situées de part et d’autre de la voie ferrée.

Associer écologie et développement urbain

Un atelier universitaire commandité par la communauté urbaine de Lyon a fait le choix d’étudier un périmètre plus large (7,5 hectares) afin d’intégrer davantage d’opportunités d’aménagement durable. Le projet de l’atelier conjugue trois principes d’aménagement. Premièrement, développer une programmation en adéquation avec l’histoire industrielle de Vaise. Le pôle automobile de Vaise, fait d’espaces de vente abrités dans des « boîtes à chaussures » localisées dans le périmètre d’étude, peut être inséré dans les nouveaux bâtiments. Ensuite, renaturer le ruisseau sur 630 mètres afin de relier, grâce à des circulations douces, l’îlot de l’Hôtel des Ventes (rue Marietton) au square Montel. Les travaux portent sur la démolition des murets anti-crues, le retalutage des berges et leur végétalisation, ainsi que la déminéralisation des terrains alentours. Enfin, réduire la vulnérabilité au risque d’inondation des futures constructions en les plaçant à l’écart du cours d’eau.

Selon les résultats de l’atelier universitaire, une fois libérés de la plupart des constructions existantes (démolies), les terrains seraient remodelés en « paliers » suivant la logique d’aménagement imaginée aux Ardoines (à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) ; Brun et Adisson 2011). Les abords du ruisseau seraient plantés (palier bas, inondations fréquentes), les ouvrages inondables seraient situés sur un palier intermédiaire (inondations rares) et les nouveaux bâtiments seraient implantés hors d’eau en périphérie du site. Ainsi localisés, les bâtiments accentueraient l’ambiance urbaine côté rue et isoleraient le parc des nuisances sonores.

Le programme comprend la construction de 40 000 m² de logements, 20 000 m² de bureaux, 5 000 m² de locaux d’activités, la création d’un parc arboré inondable de deux hectares ainsi que la renaturation du ruisseau. Le coût de l’opération oscille entre 80 et 120 millions d’euros selon les variantes.

Les coûts de renaturation cumulés représentent moins de 5 % du montant des travaux. Les aménageurs peuvent les internaliser sans les répercuter sur l’acheteur final, grâce à des subventions susceptibles d’être accordées par l’agence de l’eau à un chantier expérimental de ce type au titre de son dixième programme. Eu égard à la valeur immobilière des biens atteints au cours des dix dernières années à Vaise, l’opération peut être équilibrée tout en contribuant à améliorer la qualité environnementale du quartier.

En conclusion, il résulte de l’atelier que la reconquête écologique des petites rivières urbaines peut tirer bénéfice d’une opération d’urbanisme, tout en donnant un peu d’épaisseur au concept de ville durable. Reste à susciter, d’une part, l’adhésion des élus locaux et des riverains et, d’autre part, l’intérêt des aménageurs publics et privés.

Bibliographie

  • Adam, Philippe, Debiais, Nicolas et Malavoi, Jean-René. 2007. Manuel de restauration hydromorphologique des cours d’eau, Nanterre : Agence de l’eau Seine-Normandie.
  • Bonin, Sophie. 2007. « Fleuves en ville : enjeux écologiques et projets urbains », Strates, n° 13.
  • Brun, Alexandre et Simoens, Christine. 2012. « La “renaturation” des rivières urbaines au Québec : de la réalisation de la basse Saint-Charles au ruisseau de la Brasserie », IS.Rivers, 25‑28 juin, université Lyon‑2.
  • Brun, Alexandre et Adisson, Félix. 2011. « Renouvellement urbain et risque inondation : le plan guide “Seine-Ardoines” », Cybergeo : European Journal of Geography.
  • Carré, Catherine (dir). 2011. Les petites rivières urbaines d’Île-de-France, Nanterre : Agence de l’Eau Seine Normandie.
  • Idarraga, Freddy. 2010. Urban River Restoration in Colombia. Building and Environment, thèse de doctorat en aménagement, Politecnico de Milan.
  • Morley, Sarah et Karr, James. 2002. « Assessing and Restoring the Health of Urban Streams in the Puget Sound Basin », Conservation Biology, vol. 16, n° 6, p. 1498‑1509.
  • Scherrer, Franck. 2004. « L’eau urbaine ou le pouvoir de renaturer », Cybergeo : European Journal of Geography.

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Pour citer cet article :

Alexandre Brun & Évariste Casetou, « Renaturer les rivières urbaines. Le projet du ruisseau des Planches à Lyon », Métropolitiques, 8 janvier 2014. URL : https://metropolitiques.eu/Renaturer-les-rivieres-urbaines.html

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