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Terrains

Quelle place pour l’activité agricole en ville ?

Le cas de Ouagadougou, entre sécurisation et relégation

Si l’utilité de la présence agricole dans les grandes villes ouest-africaine tend à être reconnue par le discours scientifique, elle peine, selon Laure Le Gall, à trouver sa place au sein des politiques urbaines. Les quelques efforts trahissent plutôt une volonté, de la part des planificateurs, de contenir l’activité, voire de la reléguer vers les marges urbaines.


Dossier : Nature(s) en ville

Dans un contexte de lutte active pour l’espace, l’agriculture n’est que rarement considérée comme légitime dans les grandes villes d’Afrique de l’Ouest. Si elle existe massivement de fait, implantée dans les interstices les plus précaires, son rôle social, économique et environnemental peine à être reconnu par les politiques de planification. Celles-ci, inspirées par les modèles urbains occidentaux, ont longtemps séparé et différencié les activités urbaines et celles proprement rurales, avec parmi elles, l’agriculture.

Ouagadougou constitue un bon exemple de cette dualité entretenue entre villes et campagnes, villes et nature ou ville et agriculture. Bien plus que des critères démographiques, c’est cette distinction fonctionnelle entre activité agricole et autres activités qui est au cœur de la définition de la ville au Burkina Faso. À l’instar d’autres pays africains, le pays a connu une urbanisation rapide et incontrôlée dans les années 1960‑1970. Ouagadougou fut la principale bénéficiaire de cette croissance reposant essentiellement sur l’exode rural. Aujourd’hui, si la croissance est moindre pour les grandes agglomérations, au profit des petites et moyennes villes, la capitale ne cesse de s’étendre, principalement de manière informelle. La plupart des espaces agricoles intra- et périurbains sont ainsi des implantations spontanées, ne bénéficiant pas de droit d’occupation. Ceci s’explique par une législation sévère (Bagré et al. 2001) qui ne s’est assouplie que récemment avec l’adoption du Schéma directeur du « Grand Ouaga », révisé en 2008, préconisant l’affectation des zones humides au maraîchage et la création d’une ceinture verte au sud de la ville. Les orientations recommandent plus généralement le respect de la vocation naturelle des terres en matière d’aménagement. Le discours officiel, influencé par les dernières études en matière d’agriculture urbaine, promeut donc une nouvelle tolérance. Celle-ci est-elle sincère ou affichée ? L’exemple d’un site conjointement planifié par la commune de Nongremasson, l’un des cinq arrondissements de Ouagadougou, et l’Office national de l’eau et de l’assainissement (ONEA) donne des éléments de réponse.

Sécurisation foncière et économique

Situé dans la partie nord-est de la ville de Ouagadougou, dans la commune de Nongremasson, à la limite de la zone non-bâtie, le périmètre maraîcher de Kossodo a été mis en culture suite à l’installation d’une station d’épuration en 2006. À l’origine du projet, c’est une trentaine d’hectares convertis en terres agricoles qui devaient être aménagés à l’embouchure du canal principal de rejet des eaux traitées. Les ambitions de la mairie étaient alors doubles : exploiter les eaux assainies afin que les cultivateurs des autres sites de cette zone industrielle n’aient plus à faire usage des eaux usées ; déplacer ces mêmes cultivateurs des sites informels afin qu’ils occupent un espace spécifiquement dédié au maraîchage.

605 parcelles ont été délimitées, bornées et attribuées aux exploitants qui en faisaient la demande, prioritairement à ceux qui étaient déjà présents sur le site, et dont la plupart produisaient du mil. Cette politique d’attribution a été accompagnée d’un soutien logistique avec la mise à disposition d’outillage, même si tous les maraîchers n’ont pu en recevoir. Cette politique semble traduire un réel désir d’encadrement de la part des acteurs locaux. Sécurisation foncière et sécurisation économique étaient donc le fer de lance de cette planification agricole.

Évolution spatiale des sites maraîchers à Ouagadougou entre 1996 et 2009

Un échec économique, un site peu attractif

Cependant, les objectifs de cette mesure étaient loin d’être atteints en 2011. Une enquête menée auprès de 60 cultivateurs a montré que beaucoup de ceux qui étaient présents sur place avant la mise en place de cette mesure ont constaté une dégradation de leur situation économique, déjà précaire avant la mise en place du périmètre irrigué : « le mil rapportait plus ; j’aurais préféré faire autre chose que du maraîchage sur cet espace », déclare ainsi une maraîchère (Le Gall 2011). Si les premières récoltes s’étaient avérées prometteuses, elles sont devenues catastrophiques dès la deuxième année d’exploitation (ONEA 2008).

Ainsi, au moment de l’enquête, entre février et avril 2011, la comparaison avec les autres sites agricoles est sans appel : les travaux des champs ont pris beaucoup de retard à Kossodo alors que les cultures arrivent bientôt à terme sur les sites les plus productifs de la ville. Pire encore, les rares pousses émergeant du sol sont déjà flétries et présentent des signes de pourrissement. Pour ces raisons, les agriculteurs installés sur d’autres zones maraîchères, et potentiellement concernés vers un déplacement à Kossodo, se montrent très inquiets et peu enclin à se déplacer : « si on n’a vraiment pas le choix, nous irons à Kossodo, mais pour le dire franchement, cela ne nous arrange pas », affirme un cultivateur de Tanghin, autre quartier de la ville de Ouagadougou.

Une vision négative de l’agriculture en ville ?

Peut-on voir dans cette situation le résultat d’une relégation implicite ? Lors de l’enquête, deux facteurs ont été identifiés comme les principales causes de cet échec économique. Si le premier, la salinité trop importante des eaux d’irrigation issues de la station d’épuration affectant la croissance des cultures et la qualité du sol (Sou 2009), semble indépendant des politiques publiques et pourrait être résolu par l’amélioration des techniques de traitement des eaux, le second apparaît beaucoup plus structurel et sans doute lié à une vision négative de l’agriculture en ville (Le Gall 2011).

Une parcelle composée d’une vingtaine de planches à Tanghin en 2011
© Laure Le Gall
Une parcelle composée de deux planches à Kossodo en 2011
© Laure Le Gall

En effet, la gestion foncière du projet semble avoir été défaillante. D’une part, les lots attribués ne respectent pas vraiment les possessions initiales. Selon les maraîchers sondés, à une parcelle de culture céréalière, faisant travailler l’ensemble de la famille, a été attribuée une parcelle maraîchère. Or l’une et l’autre ne sont pas équivalentes en termes de rendements et d’emploi de main-d’œuvre. Ainsi, certains membres des familles se sont retrouvés sans possibilité de travailler la terre. Mais, surtout, les lots attribués ont une surface bien inférieure à celles des autres espaces maraîchers de la ville, de type informel, puisque, comme le montrent les photos ci-dessus, les parcelles de Kossodo se réduisent à quelques planches (bandes de culture). Conjugué à de faibles rendements du fait de la mauvaise qualité de l’eau d’irrigation et à l’impossibilité d’intensifier la production, faute de moyens pour investir, ce manque d’espace, empêchant une pratique extensive, est un véritable frein économique.

Par ailleurs, l’espace étant déjà saturé, on peut se demander comment va être gérée l’arrivée d’autres maraîchers de la ville, prévue à terme. Même si une extension du périmètre est prévue, il n’est pas certain que le projet soit en capacité d’absorber cet afflux de population, a fortiori dans le contexte hydrique actuel. Rappelons, de plus, que ces espaces agricoles du centre de la ville ne cessent d’accueillir de nouveaux travailleurs, attirés par cette activité refuge.

Attribution ou relégation ?

Enfin, le choix du site soulève également quelques interrogations. Les autorités ne viabilisent pas in situ les zones maraîchères déjà existantes : selon elles, il s’agit souvent de zones à risques (glissement de terrain, inondation, pollution, etc.). On peut, pourtant, s’interroger sur le choix de cette implantation périphérique. En effet, cet éloignement du centre, et donc des marchés et des réseaux commerciaux, engendre un coût supplémentaire que les cultivateurs des zones centrales concernés par un déplacement ne sont pas prêts à assumer.

Par ailleurs, il est fort probable que cette zone, pour le moment « réservée » à l’activité agricole, n’échappe pas à la concurrence pour l’espace que connaissent les périphéries des grandes métropoles africaines. La pression foncière, qui s’observait déjà au moment de l’enquête par des prospections poussées de la part d’industriels autour des zones cultivées, ne sera-t-elle pas plus forte que les intérêts agricoles d’une population au faible pouvoir de pression ? Des formes de spéculation apparaissent déjà dans les pratiques internes au site, preuve que la terre tend peu à peu à valoir pour son intérêt foncier plus que pour ses potentialités agricoles.

Pour pallier les insuffisances comme le mauvais découpage foncier et les défaillances de l’apport en eau, les populations locales ont rétabli des pratiques foncières coutumières telles que des formes de faire-valoir indirect permettant une gestion moins rigide de l’espace. En pratiquant des formes de prêt/location de terrains sans l’obtention de l’accord municipal, les maraîchers peuvent ainsi étendre leur surface cultivable, alors qu’ils ne peuvent espérer qu’une seule parcelle à cultiver par la voie légale. De plus, des formes d’installation informelle ont resurgi à quelques mètres en contrebas du site. Elles illustrent l’échec d’un des objectifs principaux du projet, à savoir la lutte contre ces formes d’occupation du sol, censée aboutir à une plus grande sécurisation foncière, étape présumée nécessaire à la sécurisation économique.

Bibliographie

  • Bagré, A.-S., Kientga, M., Cissé, G. et Tanner, M. 2001. « Processus de reconnaissance et de législation de l’agriculture urbaine à Ouagadougou : de la légitimation à la législation », Bioterre, numéro spécial « Actes du colloque international, Centre Suisse, du 27‑29 août 2001 », p. 139‑148.
  • Le Gall, L. et Brondeau, F. 2012. « Les sites maraîchers planifiés en milieu urbain : quelle sécurisation foncière pour quelle sécurisation économique ? Analyse à l’échelle locale. Le cas du périmètre maraîcher de Kossodo. Ouagadougou. Burkina Faso », Colloque de l’ASRDLF, session « Nature et Métropole » organisée par Bourdeau-Lepage, Chomarat-Ruiz et Torre, 9‑11 juillet, Belfort.
  • Le Gall, L. 2011. Les Enquêtes auprès d’un échantillon de population : un outil pour l’analyse foncière. Mobilité, trajectoire et stratégie foncière chez les maraîchers de Ouagadougou (Burkina Faso), mémoire de master, Paris : université Paris-4.
  • Office national de l’eau et de l’assainissement (ONEA). 2008. Rapport interne de l’ONEA.
  • Sou, M. 2009. Recyclage des eaux usées en irrigation : potentiel fertilisant, risques sanitaires et impacts sur la qualité des sols, thèse, Suisse : École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) – Faculté de l’environnement naturel, architectural et construit (ENAC).

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Pour citer cet article :

Laure Le Gall, « Quelle place pour l’activité agricole en ville ?. Le cas de Ouagadougou, entre sécurisation et relégation », Métropolitiques, 18 février 2013. URL : https://metropolitiques.eu/Quelle-place-pour-l-activite.html

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