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Débats

« On est prisonniers de la technique »

À l’occasion des rencontres de la Fédération nationale des agences d’urbanisme (FNAU), le maire de Bayonne, Jean-René Etchegaray, est revenu sur sa lassitude d’élu face aux schémas vides de sens. Il plaide pour une revalorisation du politique dans la fabrique urbaine et considère que les habitants peuvent apporter beaucoup plus que ce que les outils classiques de la concertation ne laissent penser.

Dossier : Et si on planifiait autrement ?

Je suis élu, et à ce titre je suis un praticien de la ville. Un praticien qui a conscience de la complexité de la société dans laquelle on vit ; qui se lasse aussi de la multiplication des plans et des schémas. J’ai présidé un schéma de cohérence territoriale (SCOT), je suis maintenant élu en charge du plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) de notre agglomération de 140 000 habitants, et je suis très déçu. En 2000, la loi Solidarité et renouvellement urbains avait inventé le projet d’aménagement et du développement durable (PADD). Je pensais alors qu’on avait peut-être inventé quelque chose qui ferait que le projet transcende le temps. Quinze ans après, lorsque je travaille avec mes services – qui font un très bon travail, associés à l’agence d’urbanisme, dont je suis le président – et qu’on me fait une proposition de PADD, je constate qu’on retombe toujours dans les travers habituels où la technique finit systématiquement par l’emporter sur le politique.

Je n’en veux pas aux techniciens parce que leur art est difficile et qu’on est arrivé aujourd’hui à une hyperspécialisation qui peut expliquer cela. Mais pour une ville qui a une histoire ouvrière comme la mienne, un historien pourrait peut-être mieux nous guider que ne le faisait jusque-là le géographe, le sociologue, l’économiste ou l’architecte. En définitive, le sujet dont on parle n’appartient à aucune discipline !

Au placard les outils qu’on croyait être les bons pour s’adresser aux citoyens

J’ai eu récemment plusieurs gifles, qui doivent nous interpeller sur notre façon de travailler à tous.

Cela s’est produit notamment à l’occasion de la préparation du PLUi. Avec l’agence d’urbanisme, on a souhaité mettre en place des réunions de quartier, mais en se disant qu’il ne faudrait surtout pas que cela ressemble à ces réunions où l’on ne parle que du ramassage des ordures ménagères ou du positionnement des bancs sur le square. On a mis en place des « portraits de quartier » et on a décidé que ce n’était pas les techniciens et certainement pas les élus qui allaient travailler à faire ces portraits. Ce serait les habitants. Et on les a invités à s’exprimer assez librement : « Comment voyez-vous votre quartier, aujourd’hui, dans l’avenir immédiat et plus lointain ? ». Je n’attendais pas forcément grand-chose, mais on avait quand même espoir que ces portraits de quartier intéressent la population… Ils étaient 200 à 250 participants, là où je pensais qu’on serait une cinquantaine. Ils étaient plutôt jeunes, là où en général ne viennent que des personnes du troisième âge…

Et quelle surprise, on a eu une réunion passionnante ! Parce que de schéma, il n’en a pas été question ; de plan, il n’en a pas été question. On leur a remis simplement une feuille blanche. Nous étions accompagnés de personnes spécialisées dans le dialogue. La personne qui était là n’était pas urbaniste, elle a simplement demandé aux personnes de s’exprimer et de le faire avec leurs mots. On a produit des images, on leur a demandé de hiérarchiser un certain nombre de choses. Finalement, on s’est bien rendu compte qu’on avait mis au placard tous les outils qu’on croyait être les bons pour pouvoir s’adresser aux citoyens. Les mécanismes habituels de consultation citoyenne ne nous ont pas servi à grand-chose.

Ce qu’on a fait dans ce premier quartier, on l’a fait dans un deuxième, puis un troisième. Toujours le même succès ! Pour le coup, je ne fais plus de réunions publiques classiques ; je m’adresse aux citoyens mais différemment, après les avoir écoutés et à partir de ce qu’ils ont dit. Je suis élu dans cette ville depuis 1995 : maire depuis trois ans, j’étais précédemment premier adjoint en charge de l’urbanisme. J’ai fini par comprendre que l’urbanisme n’appartient à personne. Permettez aux citoyens de parler de leur ville sans utiliser notre jargon. Nous sommes jargonneux. Nos schémas le sont de plus en plus. Et malheureusement, les PADD le sont aussi.

On compile beaucoup plus qu’on analyse. On ne sait pas résumer les choses. Je pense qu’il faut être beaucoup plus dans l’émotion. Ce n’est pas la faute des lois. On peut passer son temps à dire que les lois sont mal faites, mais quand on a dit dans la loi SRU qu’il fallait un PADD, on a voulu dire qu’il fallait un projet. Au ministère, ils ne cessaient de répéter : faites en sorte que le PADD ne fasse pas plus de 10 pages. Je ne connais pas de PADD qui fasse moins de 10 pages.

J’ai envie de renvoyer le PADD qu’on me présente actuellement pour mon agglomération parce qu’il est lourd, indigeste, il ne parle pas aux habitants. En même temps, il dit beaucoup de choses, mais il m’en dit à moi parce que j’ai fini par comprendre ce qu’on m’a expliqué : je me suis moi-même fait à tout ce jargon… c’est peut-être ça le pire !

Être beaucoup plus à l’écoute des habitants, moins dans le jargon

Pour une deuxième expérience, je vous propose maintenant de sortir de Bayonne. Depuis un certain nombre de mois, je parcours le territoire pour la mise en place de l’intercommunalité unique du Pays basque. La loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) vient dire : au-delà des agglomérations, si des territoires souhaitent faire une grande intercommunalité, ça peut se faire. Il y a 70 % des conseillers municipaux du Pays basque qui viennent dire : « on en veut ! ». « Mais vous voulez quoi ? », nous demandent les techniciens. « Une intercommunalité Pays basque. » « Oui, mais vous n’avez pas de projet ! Où est votre projet ? », nous demandent les techniciens. On se réunit depuis 23 ans, dans des configurations les plus diverses, à essayer de penser le Pays basque et nous avons déjà mis en place des contrats territoriaux. Les contrats territoriaux, ce sont des contrats… cela vaut bien quelques schémas.

Depuis les années 1990, le Pays basque, les élus ont mis en place des contrats territoriaux adossés au contrat de plan État–région (CPER). C’est le seul territoire à avoir commencé ainsi à réfléchir à grande échelle sans une forme institutionnelle et administrative « classique » pour encadrer le tout. Avec, derrière, les financements : entre 200 et 250 millions d’euros, chaque fois mobilisés au profit de projets publics portés par le territoire, dans des domaines aussi divers que la trame verte et la trame bleue, l’aviculture, la culture, la défense de la langue basque, par exemple, mais également l’aménagement du territoire. Ces élus qui se réunissaient d’une manière totalement incongrue ont mis en place des instruments de « gouvernance »… La gouvernance, c’est un mot un peu trop galvaudé ; en pratique, c’est simplement la manière dont les territoires s’organisent lorsque les institutions ne sont pas capables de permettre à ces territoires d’évoluer… Donc on a mis en place ces instruments, qu’on a appelé le conseil des élus : un conseil de développement qui a existé bien avant que la loi les rende obligatoires pour les grandes intercommunalités... Au fond, on a essayé de travailler ensemble.

On avait besoin d’ingénierie pour cela, parce que c’est bien d’avoir des projets mais il faut quand même les confronter à la faisabilité technique et à la faisabilité économique, financière et politique. Nos questions venaient donc interroger les techniciens, mais dans une démarche complètement différente. On est parti du territoire, on a interrogé les techniques, alors que ce qui se passe en général, c’est que nos PADD sont rédigés par les techniciens, qui nous font des propositions sur lesquelles on finit par être d’accord parce qu’il faut bien avancer… Et en fait, on est prisonniers de la technique.

On est aujourd’hui dans un repositionnement des territoires. Le Meccano territorial a changé, durablement, parce qu’on ne reviendra pas au centralisme. C’est pour ça que j’en appelle à l’ingénierie. Parce que, attention, je ne suis pas critique vis-à-vis des techniciens. Je crois juste qu’il y a quelquefois une maldonne. Je pense qu’il est indispensable que l’ingénierie soit à disposition de ces nouveaux territoires. Je pense qu’il faut que les élus s’investissent davantage dans le pilotage des projets. Et je pense qu’il faut que les élus écoutent davantage encore les citoyens pour résister au jargon et aux techniciens... et porter ainsi des projets qui aient plus de sens pour les territoires et leurs habitants.

De nouveaux territoires sont en cours d’élaboration et de construction, c’est difficile. Mais il faut réapprendre à travailler ensemble à cette occasion. Car qui dit nouveaux territoires dit aussi nouveaux projets !

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Pour citer cet article :

Jean-René Etchegaray, « « On est prisonniers de la technique » », Métropolitiques, 16 mars 2017. URL : https://metropolitiques.eu/On-est-prisonniers-de-la-technique.html

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