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Essais

Le tourisme dans les villes moyennes : vers des politiques coordonnées

Le tourisme peut-il être une opportunité de développement pour les villes moyennes ? Après avoir analysé les moteurs et les enjeux des dynamiques touristiques dans ces villes, Marie Delaplace appelle à la mise en place de politiques coordonnées susceptibles de renforcer globalement l’attractivité des territoires.

Dossier : Villes moyennes

Dans un contexte de croissance atone, voire de récession, le développement du tourisme est souvent considéré comme un levier de redynamisation des zones en difficulté. Cette activité est, en effet, à l’origine d’une entrée de revenus sur les territoires qui en bénéficient, et ce indépendamment de leur base productive. Les villes moyennes, marquées par la relative importance des emplois de fabrication et la faiblesse de certains services, y voient souvent une opportunité de développement. Toutefois, l’émergence de dynamiques favorables dépend non seulement de l’existence de réelles ressources touristiques, mais aussi de la mise en place de politiques coordonnées susceptibles de renforcer globalement l’attractivité du territoire.

De nouveaux touristes ?

En 2012, l’industrie du tourisme [1] représentait 9 % du PIB mondial et 6,5 % du PIB de la France. Selon l’Organisation mondiale du tourisme (OMT 2013), la France occupait à la même date la première place mondiale en termes d’arrivées de touristes internationaux [2] (83 millions) et la troisième en termes de recettes touristiques internationales (54 milliards de dollars), derrière les États-Unis (126 milliards) et l’Espagne (56 milliards). Environ un million d’emplois directs, un million d’emplois induits et 235 000 entreprises (pour l’essentiel, des PME ou des TPE) dépendraient du secteur touristique dans le pays. Enfin, en 2009, le tourisme aurait généré un excédent commercial de 7,8 milliards d’euros, représentant pratiquement le double de celui des industries agroalimentaires (CNT 2009).

À la fin des années 2000, l’OMT anticipait une croissance du tourisme à l’échelle mondiale de l’ordre de 4 % par an dans les dix prochaines années. En 2020, on compterait ainsi un milliard et demi d’arrivées de touristes internationaux, dont environ 130 millions de touristes chinois (CNT 2009). Mais si les économies émergentes seront sans aucun doute les premiers marchés émetteurs du tourisme de demain, ce dernier pourra aussi être un tourisme de proximité, en raison des contraintes environnementales et énergétiques liées aux déplacements. Par ailleurs, le dernier rapport du Comité national du tourisme (CNT 2009) souligne que la demande touristique sera plus âgée [3] et vraisemblablement plus exigeante ; que le touriste sera de façon croissante à la recherche de sens, d’authenticité, d’expériences – en somme, d’une véritable « coproduction » de son service touristique.

En effet, cette expérience de consommation s’inscrit dans un contexte relationnel et social qui lui est propre mais qui est en même temps territorialisé : on mange au restaurant « Aux Trois Gros » à Roanne, on visite la manufacture de faïencerie de Nevers, etc. Quelles sont alors les spécificités des villes moyennes ? Existe-t-il des formes de tourisme spécifiques à ces villes, ou bien le tourisme n’est-il pas simplement une des activités qu’elles doivent partager avec les métropoles ?

Le tourisme, une manne pour les villes moyennes ?

Dans un contexte où la croissance est portée par les services, les villes moyennes apparaissent désavantagées par rapport aux métropoles, où se localisent de façon préférentielle les services « supérieurs », dont on connaît le rôle dans l’économie de la connaissance et l’innovation. Par ailleurs, les reconfigurations des cartes administratives (Justice, Trésor, Armée, Santé) et la rationalisation des dépenses qui lui est associée font craindre une réduction des emplois publics particulièrement marquée dans les villes moyennes. Le tourisme est alors présenté comme « une opportunité pour dynamiser les villes moyennes » (FMVM 2010) et plus largement leur territoire, dans la mesure où elles y sont fortement ancrées.

Source possible de revenus et de développement d’activités, le tourisme est, en effet, constitutif de ce que Laurent Davezies (2008, 2009) appelle la « base résidentielle et touristique » (salaires des navetteurs, retraites, dépenses des touristes) – ou de ce que Christophe Terrier qualifie d’« économie présentielle » (Terrier 2009). Revisitant ce qu’on appelle communément la théorie de la base [4], Laurent Davezies voit dans cette base résidentielle et touristique, qui représente en moyenne environ 40 % des revenus que captent les aires urbaines, un véritable levier pour la croissance régionale. En effet, il s’agit de revenus qui ont été créés dans d’autres territoires mais qui seront dépensés dans celui où le touriste séjourne. De la même façon, afin d’appréhender les revenus qui peuvent être utilisés sur un territoire pour consommer ou pour investir, Christophe Terrier propose de prendre en compte l’ensemble de la population circulant sur ce territoire (la population présente [5]) et non plus la seule population y résidant. Ainsi, selon les données de l’INSEE [6], la population résidant en Charente-Maritime en 2004 était de 588 000 personnes, alors que la population présente au milieu du mois d’août atteignait 1 149 000 personnes.

Dans cette perspective, l’enjeu est donc d’attirer des non-résidents, particulièrement des touristes, mais aussi de satisfaire les besoins des résidents. Développer le tourisme dans les villes moyennes nécessite alors des politiques doublement spécifiques.

La nécessaire coordination des politiques touristiques

Une condition nécessaire et évidente au développement du tourisme est l’existence de ressources naturelles, historiques, culturelles et/ou gastronomiques, etc., susceptibles d’être activées individuellement ou collectivement, c’est-à-dire « patrimonialisées » (Barrère 2007). Or, en raison de leur taille, les villes moyennes sont caractérisées par des ressources touristiques souvent limitées et réparties sur un territoire vaste. Il est alors fondamental d’associer ces ressources, de construire une sorte de fil rouge permettant aux touristes de créer leur propre « panier de biens et services territorialisés » (Pecqueur 2003). Cette construction peut se fonder sur l’association de patrimoines qui, bien que disjoints dans l’espace, peuvent être joints symboliquement (Delaplace et al. 2012), à une échelle qui peut être, en fonction des territoires et des ressources, intercommunale, départementale ou régionale, voire celle d’un réseau de villes ou d’un pôle métropolitain. Ainsi, la création d’un Atlas culturel, issu de la collaboration entre les différentes villes du G10 [7] en Champagne-Ardenne, a constitué un premier pas vers la construction d’une histoire partagée.

La mise en place de ce type de projets nécessite une forte coordination entre les différents acteurs au sein même de la ville : acteurs publics, mais aussi acteurs privés et associatifs de l’hébergement, de l’animation et de la culture, ainsi que la population, partie prenante essentielle dans la « mise en tourisme » de la ville (Équipe MIT 2000). Cette coordination est d’autant plus nécessaire dans les villes moyennes que leurs ressources financières sont souvent limitées et contraignent à des choix d’investissement difficiles : faut-il rénover un quartier ou restaurer un monument ? À qui sera destiné l’espace naturel dont la mise en valeur est programmée ?

Présents simultanément dans la ville, touristes et résidents sont souvent en situation de conflits potentiels, dans les transports comme dans l’espace public ; les effets de congestion associés à leur coprésence en est un exemple parmi d’autres. La solution est alors de privilégier des investissements multifonctionnels, susceptibles de bénéficier à la fois aux touristes et à la population résidente. Ceux-ci peuvent porter sur des activités ou des objets à l’interface entre loisirs et tourisme, voire entre tourisme et activité professionnelle : festivals, événements sportifs ou encore certains aménagements de voirie, comme les pistes cyclables ou les cheminements piétonniers. Ainsi le Festival mondial des théâtres de marionnettes de Charleville-Mézières est-il à fois un événement international attirant des marionnettistes d’une trentaine de pays et une manifestation destinée aux enfants de la ville et des environs impliquant plus de 500 bénévoles. De même, la complémentarité entre touristes et résidents peut être recherchée en développant leurs interactions : en valorisant des savoir-faire de la population liés à des spécialisations industrielles anciennes en termes d’expériences à partager avec les touristes (ainsi des visites de mines dans les bassins houillers du Nord–Pas-de-Calais ou de Lorraine) ; en promouvant des activités telles que les greeters (hôtes bénévoles qui accueillent gratuitement des touristes et leur proposent une rencontre authentique) ; en développant des ateliers créatifs destinés aux deux populations. Enfin, les espaces publics peuvent être pensés et conçus pour privilégier les relations d’échanges et les interactions sociales : le tourisme devient un moyen de récréer de l’urbanité et d’améliorer le cadre de vie. Les spectacles de rue (Aurillac), les dispositifs « son et lumière » (Nuits Lumière de Bourges) et plus généralement la mise en lumière des principaux monuments d’une ville comptent parmi les exemples les plus frappants de cette urbanité renouvelée.

Politiques de développement touristique et politiques d’amélioration de la qualité de la vie et de dynamisation culturelle peuvent alors devenir complémentaires, au service de l’attractivité globale des villes moyennes. En effet, des touristes satisfaits de leur séjour sont non seulement des promoteurs de la destination mais aussi potentiellement de futurs résidents : une ville où l’on a passé un séjour agréable est une ville où l’on peut envisager de s’installer, de travailler, voire d’implanter son entreprise. C’est alors un cercle vertueux tourisme–résidence–emploi qui peut s’enclencher.

Bibliographie

  • Barrère, Christian. 2007. « Vers une théorie substantiviste du patrimoine », Économie appliquée, tome LX, n° 3, septembre.
  • Comité national du tourisme (CNT). 2009. Le Tourisme des années 2020, des clefs pour agir, Paris : La Documentation française.
  • Davezies, Laurent. 2008. La République et ses territoires. La circulation invisible des richesses, Paris : Seuil.
  • Davezies, Laurent. 2009. « L’économie locale “résidentielle” », Géographie, économie, société, vol. 11, n° 1, p. 47‑53.
  • Delaplace, Marie, Gatelier, Elsa et Pichery, Marie-Claude. 2012. « Patrimonialisation de la vitiviniculture et développement du tourisme dans les régions viticoles, Une comparaison Bourgogne/Champagne », 49e colloque de l’ASRDLF, Belfort, 9‑11 juillet.
  • Équipe MIT (Mobilité, itinéraire et territoires). 2000. « La mise en tourisme des lieux : un outil de diagnostic », Mappemonde, vol. 57, n° 1, p. 2‑6.
  • Fédération des maires de villes moyennes (FMVM). 2010. Actes du colloque « Le tourisme, une opportunité pour dynamiser les villes moyennes », Palais du Luxembourg, 10 juin.
  • OMT. 2013. Faits saillants OMT du tourisme, édition 2013.
  • Pecqueur, Bernard. 2003. « Dans quelles conditions les objets patrimoniaux peuvent-ils être supports d’activité ? », 13e conférence internationale RESER, « Services et développement régional », Mons, 9 et 10 octobre.
  • Terrier, Christophe. 2009. « Distinguer la population présente de la population résidente », Courrier des statistiques, n° 128, p. 63‑70.
  • Tiebout, Charles M. 1956. « Exports and Regional Economic Growth », Journal of Political Economy, vol. 64, n° 2, p. 160‑164.

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Pour citer cet article :

Marie Delaplace, « Le tourisme dans les villes moyennes : vers des politiques coordonnées », Métropolitiques, 9 décembre 2013. URL : https://metropolitiques.eu/Le-tourisme-dans-les-villes.html

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