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L’exposition du parc de logement au risque d’inondation : un enjeu majeur en Île-de-France

La crue centenaire de la Seine de 1910 à Paris est longtemps restée dans les mémoires. Aujourd’hui encore, le risque d’inondation constitue une préoccupation majeure en Île-de-France. Le nombre et la concentration des logements potentiellement exposés y sont importants. Ludovic Faytre montre, en effet, que le parc francilien est plus que jamais vulnérable et souligne les nombreux enjeux économiques, sociaux et de gestion de crise que ce risque naturel fait courir à la région capitale.

L’amélioration de la connaissance des enjeux économiques et humains exposés aux risques d’inondation figure parmi les principaux objectifs affichés par le plan de gestion des risques d’inondation (PGRI), mis en œuvre dans le cadre de la directive « inondation » [1], à l’échelle du Bassin de la Seine. L’exploitation des fichiers fonciers [2] permet de tirer de nombreux enseignements sur l’exposition aux risques d’inondations du parc de logements franciliens et sa vulnérabilité.

Un accroissement constant de la construction en zones inondables

Depuis le début des années 1980, période durant laquelle s’est engagée une véritable politique nationale de prévention des risques, plus de 100 000 logements ont été construits en zones inondables en Île-de-France. Ils concernent jusqu’à 85 % de l’habitat collectif et le Val-de-Marne et les Hauts-de-Seine ont accueilli, à parts égales, la moitié de ce nouveau parc.

Quelques indicateurs – par période décennale – traduisent cet accroissement constant depuis une trentaine d’années :

  • 38 000 logements ont été construits en zones inondables sur la période 2000‑2009, contre 36 000 dans la décennie 1990 et 26 000 dans la décennie 1980 ;
  • la construction de logements en zones inondables représente 9,3 % de la construction totale francilienne sur la dernière décennie, contre 6 % dans la décennie 1980 ;
  • le nombre comme la part de logements construits en zones d’aléas « forts » à « très forts » sont en augmentation constante pour atteindre 18 500 logements et près de 50 % sur la dernière décennie.
Figure 1. Évolution de la construction de logements en zones inondables par département et par période décennale (1980‑2009)

Source : Fichiers fonciers 2011, Direction générale des Finances publiques (DGFiP). Exploitation par l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Île-de-France (IAU‑ÎdF).

L’évolution de ce parc s’inscrit aujourd’hui essentiellement dans les processus de densification et de mutations du tissu urbain liés à la recomposition de la zone dense. Confrontée à la forte demande de logement et à la rareté des espaces disponibles, la requalification de nombreux territoires passe, dans un contexte de désindustrialisation progressive, par la mutation d’anciens sites industriels et la reconstruction de zones d’habitats et d’équipements. Plusieurs centaines d’hectares sont concernés en Île-de-France, mais une grande partie de cette offre foncière, notamment en proche couronne, s’inscrit le long de la voie d’eau, site historique du développement industriel depuis le début du XXe siècle.

La dernière décennie correspond à la période de mise en œuvre des plans de prévention des risques d’inondation (PPRI) en Île-de-France, dont le premier a été adopté en juillet 2000 [3]. Ces plans couvrent aujourd’hui 81 % des surfaces inondables, et près de 98 % de la population vivant sur des espaces urbanisés exposés aux risques de crues. Au regard des évolutions récentes, les PPRI semblent jouer un rôle indéniable dans la protection des zones d’expansion des crues vis-à-vis de l’urbanisation nouvelle. En revanche, l’idée selon laquelle les PPRI constitueraient un frein au développement urbain doit être relativisée. Un constat s’impose, en effet : celui de la difficulté des PPRI à contenir l’augmentation des enjeux humains (population résidente, emplois) dans les espaces urbains déjà constitués. Et si, par leurs prescriptions et recommandations, les PPRI visent bien à assurer la sécurité des personnes et à renforcer la robustesse des constructions, la notion de résilience individuelle, à l’échelle de la parcelle ou du bâtiment, trouve rapidement ses limites face à celle de résilience collective, à l’échelle du territoire.

Face aux enjeux d’accès aux logements, particulièrement prégnants en Île-de-France, mais aussi aux orientations de l’aménagement régional portées par le Grand Paris ou le SDRIF 2030 [4] (plus de 70 000 logements par an sont prévus), il est fort probable que ce processus de densification se poursuive avec une augmentation sensible du parc de logements exposés à l’horizon 2030.

Une forte exposition du parc francilien

Pour une crue d’occurrence centennale – considérée comme une crue moyenne [5] par la directive « inondation » – les analyses révèlent la très forte exposition du parc francilien. Près de 435 000 logements (environ 8 %) sont potentiellement exposés aux inondations par débordement. Ces logements s’inscrivent essentiellement dans les lits majeurs de la Seine (81 %) et de la Marne (15 %), qui constituent le principal bassin de risques en Île-de-France ; les autres se distribuent sur les berges de l’Oise (moins de 1 %) et celles des petites rivières qui irriguent le territoire francilien.

Avec près de 78 % des logements potentiellement touchés, les départements de petite couronne sont les plus exposés. Le Val-de-Marne serait le territoire le plus impacté, totalisant plus de 123 000 logements en zones inondables, suivi de Paris (107 700) et des Hauts-de-Seine (94 450). En grande couronne, les départements de la Seine-et-Marne et de l’Essonne, avec chacun plus de 36 000 logements potentiellement inondés, seraient les plus affectés. Les enjeux peuvent être localement très élevés. Ainsi, une quinzaine de villes, polarisées dans la petite couronne, seraient particulièrement concernées, avec chacune plus de 10 000 logements exposés. Parmi ces territoires, trois arrondissements parisiens (15e, 12e, 7e), Alfortville, Asnières-sur-Seine, Ivry-sur-Seine et Gennevilliers seraient les plus touchés.

Figure 2. Les quinze communes les plus exposées en nombre de logements

Source : Fichiers fonciers 2011 – DGFiP. Exploitation IAU‑ÎdF.

Figure 3. Carte des communes impactées par les zones inondables

Source : Fichiers fonciers 2011 – DGFiP. Exploitation IAU‑ÎdF.

Quelque 357 700 logements, soit 82 % des habitations exposées, sont localisés dans environ 25 650 immeubles à usage d’habitat collectif ou, pour une part importante d’entre eux, à usages mixtes (commerces, équipements éducatifs ou sociaux, bureaux, etc.). À l’exception du Val-d’Oise, la part de l’habitat collectif en zones inondables est majoritaire dans tous les départements : elle atteint 90 % dans les Hauts-de-Seine et quasiment 100 % à Paris. Les logements individuels totalisent un peu plus de 77 000 résidences. Le Val-de-Marne accueille à lui seul près du tiers des maisons individuelles exposées (24 650).

Figure 4. Répartition par type d’habitat (individuel/collectif) et par département des logements situés en zones inondables

Source : Fichiers fonciers 2011 – DGFiP. Exploitation IAU‑ÎdF.

L’exposition aux hauteurs d’eaux permet aussi d’apprécier la vulnérabilité du parc francilien. Plus de 48 % des logements, soit 205 000, sont exposés à des niveaux d’aléas forts (hauteur de submersion entre un et deux mètres), à très forts (hauteur de submersion supérieure à deux mètres), pour une inondation d’occurrence centennale. Si le système d’ouvrages de protection (digues, batardeaux, etc.) développé par la ville de Paris pourrait théoriquement protéger la voie publique parisienne d’une inondation par débordement jusqu’au niveau de la crue de 1910, les autres territoires de l’agglomération centrale apparaissent beaucoup plus vulnérables. Par le nombre et l’exposition des logements, mais également au regard des ouvrages de protection existants (le niveau des murettes de protection est inférieur au seuil de la crue centennale), le département du Val-de-Marne apparaît comme le territoire le plus sensible à une inondation majeure en Île-de-France.

Figure 5. Répartition des logements exposés, par département et par niveau d’aléa

Source : Fichiers fonciers 2011 – DGFiP. Exploitation IAU‑ÎdF.

De multiples enjeux : économiques, sociaux et de gestion de crise

L’ampleur des enjeux économiques et sociaux liés au risque d’inondation soulève des questions multiples sur l’évaluation du coût des dommages, sur la gestion de la crise, mais aussi sur la période post-crise correspondant au temps du « retour à la normale ».

Au-delà de son expansion sur plusieurs dizaines de milliers d’hectares, des hauteurs d’eau et de l’importance des débits, une crue d’occurrence centennale en Île-de-France se caractériserait par des durées d’inondations importantes [6], pouvant dépasser plusieurs semaines sur les secteurs les plus exposés. Ce facteur, essentiel pour l’évaluation des dommages économiques (directs et indirects) et la gestion de crise, constitue aussi un facteur fortement aggravant. Les dommages directs sont liés aux atteintes aux bâtis (gros œuvre et second œuvre) et aux mobiliers, aux réseaux (eau, électricité, etc.). Pour de nombreux éléments de construction (cloisons, isolation, menuiseries, etc.), une durée d’immersion supérieure à trois jours se traduirait par une probabilité de dommages de 100 %.

Ces dommages directs toucheraient 120 000 à 130 000 logements, en premier lieu des résidences individuelles, de plain-pied, mais aussi 50 000 à 60 000 logements localisés en rez-de-chaussée des immeubles collectifs. Dans ces constructions, la multiplication des niveaux de sous-sols (caves, parkings, etc.), qui accueillent souvent des installations sensibles (postes électriques, chaufferies, mécanismes d’ascenseurs, etc.), constituent un facteur de vulnérabilité supplémentaire.

En termes économiques, le coût d’une inondation majeure en Île-de-France est aujourd’hui évalué, selon les scénarios, à entre 3 et 30 milliards d’euros pour les dommages directs, pour une part importante imputé à l’habitat. Une meilleure connaissance des enjeux impactés (types de logement, périodes de construction, niveaux d’équipement…) doit permettre d’affiner cette évaluation sur la base de retours d’expériences français ou étrangers, de courbes d’endommagement ou de coûts moyens adaptés à la diversité des tissus urbains franciliens.

L’importance de la population résidente impactée renvoie aux problématiques de gestion de crise. Même si elle est difficile, la sauvegarde de la population pour un événement impactant quelques dizaines ou centaines de logements ne pose pas de problèmes insurmontables. Mais la multiplication des enjeux, à l’échelle d’une agglomération de 10 millions d’habitants, complique considérablement cette gestion de crise. L’évacuation de plusieurs dizaines ou centaines de milliers de personnes suppose d’anticiper sur les conditions et les capacités d’hébergement provisoire, sur les priorités de sauvegarde des populations les plus fragiles, etc. L’inverse, le choix du maintien des populations dans leurs logements pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines, pose des problèmes en termes d’accessibilité, de dégradation des conditions de vie (absence d’électricité, d’eau potable, d’évacuation sanitaire…) ou d’approvisionnement en nourriture, en particulier dans le parc collectif. Cette dimension de la gestion de crise, qui relève de compétences le plus souvent communales, reste largement sous-estimée et peu anticipée.

Les enjeux de la période post-crise portent sur les délais de retour à la normale dès lors que le bâtiment a été durablement exposé à une hauteur d’eau importante. Ils se mesurent entre l’événement « inondation » et le moment où l’activité dans le bâtiment peut reprendre de façon satisfaisante. Cette période dépend des durées de nettoyage et de séchage, de l’importance de l’endommagement et des travaux de remise en état, mais également du délai de rétablissement des réseaux (eau, électricité, assainissement…). Dans ses travaux récents sur la vulnérabilité des bâtiments aux inondations, le CEPRI (Centre européen de prévention du risque inondation) rappelle, par exemple, que le délai estimé pour la remise en état d’un pavillon individuel soumis à 1,5 mètre d’eau pendant plus de 48 heures est de 18 mois. Cette situation concerne potentiellement entre 40 000 et 45 000 résidences en Île-de-France.

Mobiliser et informer

Face à l’importance des enjeux, il paraît illusoire d’engager une politique « zéro dommage » pour les immeubles bâtis déjà existants. Le CEPRI note que si elles ne sont pas pensées dès la conception du projet, nombre de mesures en matière de réduction de la vulnérabilité du bâti n’auront qu’une faible incidence sur la réduction des dommages. En revanche, à l’échelle individuelle, une part non négligeable des dommages est liée aux biens mobiliers (équipements, électro-ménager, etc.). Pour le citoyen, la connaissance de sa situation par rapport à des zones de risques devrait lui permettre d’anticiper les conséquences d’une inondation majeure, et ce d’autant plus qu’il s’agit d’un phénomène lent. Le partage de l’information, le développement d’une culture du risque, dont le défaut est un constat largement partagé par les acteurs de la gestion des risques, constituent l’un des axes des stratégies locales mise en œuvre en Île-de-France. Cette culture du risque concerne l’ensemble des acteurs locaux. Les aménageurs – élus, techniciens, acteurs économiques, etc. – doivent prendre conscience de leur propre rôle pour éviter d’aggraver des situations qui mettent en jeu de nombreuses responsabilités ; la localisation de l’habitat, des activités économiques, des équipements, des infrastructures, entre autres, devrait être aussi examinée sous l’angle de leur vulnérabilité.

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En savoir plus

  • Centre européen de prévention du risque d’inondation (CEPRI). 2015. Comment saisir les opérations de renouvellement urbain pour réduire la vulnérabilité des territoires inondables face au risque d’inondation ?, Orléans : Éditions CEPRI.
  • Faytre, L. 2011. « Urbanisation et zones inondables : les risques encourus », Note rapide, n° 557, Paris : Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Île-de-France (IAU‑ÎdF).
  • Faytre, L. 2015. « La résilience urbaine face aux risques : nécessité d’une approche collaborative », Note rapide, n° 682, Paris : IAU‑ÎdF.
  • Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). 2014. Étude de l’OCDE sur la gestion des risques d’inondation : la Seine en Île-de-France 2014, Paris : Éditions de l’OCDE.
  • Toubin, M. 2014. Améliorer la résilience urbaine par un diagnostic collaboratif : l’exemple des services urbains parisiens face à l’inondation, thèse de doctorat en aménagement, université Paris‑7 Diderot.

Pour citer cet article :

Ludovic Faytre, « L’exposition du parc de logement au risque d’inondation : un enjeu majeur en Île-de-France », Métropolitiques, 29 février 2016. URL : https://metropolitiques.eu/L-exposition-du-parc-de-logement.html

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