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Besançon, théâtre des gauches irréconciliables

À Besançon, si la droite et l’extrême droite demeurent minoritaires à l’issue du premier tour de la présidentielle 2017, le PS encaisse une déroute historique. Dans cette cité socialiste marquée par une longue histoire politique et militante, la gauche apparaît plus divisée que jamais.


Dossier : Présidentielle 2017. Les votes des grandes villes au microscope

Si l’histoire sociale et politique de Besançon est marquée par le catholicisme (Bordet 1998), l’anarchisme ou le fouriérisme (Castelton 2016), son ancrage politique récent, du moins depuis les années 1970, l’inscrit dans une fidélité certaine au Parti socialiste [1]. Cet ancrage est particulièrement visible lors des élections présidentielles : on note un score plus élevé en faveur de Lionel Jospin dès 1995 (5 points au-dessus du score national), qui se tasse en 2002 (seulement 1 point au-dessus du score national), mais s’affirme de nouveau en 2007 [2] et 2012. Besançon a ainsi largement soutenu l’élection de François Hollande, en lui accordant 32,8 % des suffrages exprimés au premier tour [3] (contre 28 % sur l’ensemble de la France), puis 59,3 % au second tour (contre 51,6 %). La stabilité du pouvoir municipal – seulement trois maires depuis 1945 –, lui aussi socialiste, conforte l’image de la ville de Besançon comme une place forte du socialisme.

Cette hégémonie est toutefois un trompe-l’œil car les tendances électorales masquent une dynamique plus complexe, liée à des affrontements au sein même des forces de gauche. Ainsi, dès les années 1950, l’ancrage d’un militantisme catholique de gauche (Ponçot 2017) marque profondément la vie sociale et politique de Besançon. Ce militantisme s’élargit dans les années 1970 aux mouvements d’extrême gauche (Hatzfeld et Lomba 2008a) et s’enracine dans le processus de désindustrialisation et de luttes ouvrières emblématiques qui l’accompagnent, telle la Rhodiacéta (Hatzfeld et Lomba 2008b) ou Lip (Gourgues 2017). À l’échelle municipale, les orientations du pouvoir socialiste sont en constante adaptation. À la gestion concertée du notable et homme d’État Jean Minjoz, quelque peu paternaliste et anti-communiste, succède avec l’élection de Robert Schwint en 1977 un volontarisme politique municipal plus affirmé et plus ouvert à la société civile locale (Borraz 1998). En 2001, l’accession au pouvoir de Jean-Louis Fousseret, successeur désigné de R. Schwint, s’inscrit dans la continuité des réorientations observables depuis le début des années 1990. Besançon est ainsi engagé, depuis une quinzaine d’années, dans les grands standards des politiques urbaines « postkeynésiennes » (Béal et Rousseau 2008 ; Béal, Pinson et Esptein 2015) : spécialisation économique (autour des microtechniques), réhabilitation du centre-ville, création d’un tramway, labellisation en termes de développement durable et de patrimoine. L’analyse de Cécile Cuny et Virginie Anquetin (2016) sur l’usage des dispositifs participatifs bisontins confirme que le leadership socialiste doit encore faire face à une société civile mobilisée et contestataire : si la municipalité met en place des instances participatives obligatoires, sans les valoriser particulièrement, celles-ci sont investies par une société civile, critique et active, qui ne se satisfait pas du rôle qui lui est dévolue.

La scène électorale bisontine et le scrutin présidentiel de 2017

La compréhension d’ensemble de cette configuration politique compte dans l’analyse du climat électoral de la ville. En effet, depuis 2012, Besançon s’est mué en laboratoire des « deux gauches irréconciliables » professées par Manuel Valls, recoupant, sans l’assumer totalement d’ailleurs, un divorce entre social-libéralisme et socialisme « keynésien » (Cos 2017), incarné par les divisions au sein du groupe majoritaire de l’Assemblée nationale. Jean-Louis Fousseret se revendique de la première. À la tête d’une alliance électorale entre le PS, les Verts et les centristes, il affiche un ralliement très précoce au mouvement d’Emmanuel Macron (dès avril 2016) et mène une campagne active de soutien au candidat, en se tenant à l’écart des débats sur la primaire organisée par le PS et ses alliés, remportée par Benoît Hamon. Ce positionnement rejoint celui d’autres grands élus locaux qui reconnaissent chez l’ancien ministre de l’Économie un positionnement « managérial », fait de rejet des clivages partisans et de consensus technique, largement pratiqué dans les instances intercommunales depuis les années 1990 (Desage et Guéranger 2011).

En opposition avec les figures locales du PS ralliées au candidat Macron, Barbara Romagnan, députée socialiste de la première circonscription du Doubs, très présente dans la ville et bien implantée dans les réseaux militants et associatifs, est une des figures de proue de la fronde parlementaire socialiste contre le gouvernement. Elle fait partie des six élues qui ne votent pas la mise en place de l’État d’urgence en décembre 2015 et s’abstient lors du vote de la confiance au gouvernement Cazeneuve en décembre 2016. B. Romagnan a mené une campagne active en faveur de la candidature de Benoît Hamon lors des primaires, puis durant la campagne de l’élection présidentielle. Ajoutons à ce panorama un élément plus anecdotique : l’enracinement bisontin de Jean-Luc Mélenchon (qui a fait ses études dans la capitale de la Franche-Comté) invite à prêter attention aux suffrages obtenus par ce dernier dans la ville. Ce contexte politique trouve un écho dans les résultats du premier tour des élections présidentielles de 2017, que cet article se propose d’analyser à l’échelle fine des bureaux de vote de la ville (annexe 1).

Le premier tour de l’élection présidentielle a fait apparaitre le scénario d’une dilution du vote socialiste au profit d’un vote très affirmé en faveur d’Emmanuel Macron (26,4 % des suffrages exprimés) ; celui-ci arrive en tête, mais devance de seulement 443 voix Jean-Luc Mélenchon (25,6 %). Le duo de tête distance largement le vote pour François Fillon, qui perd 3 570 voix par rapport au score de Nicolas Sarkozy en 2012, et celui pour Marine Le Pen, qui obtient un résultat globalement similaire à 2012 (+ 686 voix). Le candidat de la France insoumise a gagné 4 723 voix entre 2012 et 2017 (soit une augmentation de 59 %), de sorte qu’il réalise la progression la plus importante. Dans le même temps, on assiste à l’effondrement du PS, qui, s’il bénéficie encore d’une légère prime par rapport à son score national (+ 2 points), réalise un score plus faible de 12 651 voix comparé au vote en faveur de François Hollande en 2012 [4]. La chute de Benoît Hamon est donc vertigineuse : elle représente trois quarts des suffrages obtenus en 2012 par les forces politiques dont il portait la candidature. Le candidat du PS ne dépasse les 10 % des électeurs inscrits que dans un seul bureau de vote du quartier Battant, par ailleurs largement acquis à Jean-Luc Mélenchon.

Tableau 1. Les résultats des cinq premiers candidats lors du premier tour de l’élection présidentielle à Besançon

Les caractéristiques principales du vote lors du premier tour des élections présidentielles de 2017 à Besançon permettent d’éclairer cette impression d’ensemble d’un « éclatement » des gauches bisontines.

Un électorat stable, un vote Hollande éclaté

Si la chute du PS en 2017 est un événement politique marquant du paysage politique bisontin, les comportements électoraux sont tout de même marqués par une certaine permanence par rapport à ceux de 2012 et par l’intensification de tendances déjà à l’œuvre cinq ans plus tôt.

Si l’abstention a sensiblement augmenté en 2017 (25,9 %) par rapport à son niveau de 2012 (23,2 %) [5], sa répartition dans les différents bureaux de vote dessine une configuration globalement similaire (carte 1) [6], puisqu’elle s’enracine dans les bureaux de vote situés dans les quartiers populaires du sud-ouest de la ville (Planoise, Montrapon, Rosemont, Risier) et du nord-est (Palente, Orchamps, Clairs-Soleils). Les bureaux de vote les plus marqués par l’abstention se concentrent, comme l’indiquent les corrélations statistiques, dans les zones présentant de fortes proportions de personnes non diplômées (r = 0,79 [7]) ou possédant un CAP–BEP (0,49), d’ouvriers (0,63), de chômeurs (0,71) ou de locataires du parc HLM (0,78). La faible participation à l’échelle de la ville signifie donc qu’aucun candidat n’a réussi à mobiliser la frange la plus abstentionniste de la population de Besançon.

Carte 1. L’abstention à l’échelle des bureaux de vote bisontins

Cette stabilité géographique de l’abstention en recoupe d’autres. Ainsi, les corrélations sont très fortes entre les bureaux de vote qui ont soutenu les mêmes partis et/ou candidats lors des deux élections présidentielles : les bureaux où les électeurs ont le plus voté en 2012 Nicolas Sarkozy sont ceux qui en 2017 ont tendanciellement le plus soutenu F. Fillon (r = 0,89). Ce même constat vaut pour le vote J.‑L. Mélenchon (0,86) et celui de M. Le Pen (0,89). Seuls les bureaux de vote les plus favorables à François Hollande en 2012 ne sont pas marqués par ce type de corrélation très significative, comme l’atteste le vote Hamon. La seule corrélation établie pour ces derniers concerne l’abstention (r = 0,34) : les zones de force du vote Hollande en 2012 sont ainsi marquées, au terme de son quinquennat, par une démobilisation dans les urnes. Cette stabilité s’accompagne également d’un mouvement de recomposition, qui concerne en particulier les candidats d’En marche, de la France insoumise et du Front national.

Le « macronisme », un vote des classes aisées

Les bureaux de vote bisontins les plus favorables à Emmanuel Macron (carte 2) se situent dans des quartiers marqués par des taux d’emplois élevés et essentiellement composés de ménages avec enfants, de professions qualifiées et de propriétaires (Tilleroyes, Bregille, Chaprais, Saint-Claude). Les zones favorisées de Mouillères (sud du quartier Chaprais–Cras), le long de la rive extérieure de la boucle du Doubs, ont également apporté une part importante de leur suffrage au candidat d’En marche. L’ancrage du vote Macron dans le quartier Grette – historiquement marqué par l’implantation du grand ensemble dit « des 408 » concentrant des difficultés sociales – peut également s’expliquer par des opérations de rénovation urbaine [8] qui ont vu arriver des classes moyennes plus diplômés attirés par les programmes d’accession à la propriété. Le bureau de vote n° 208, situé dans ce qu’il reste du quartier des 408, donne, d’ailleurs, une majorité à Jean-Luc Mélenchon (avec 16,3 % des électeurs inscrits), tandis que deux bureaux avoisinants (n° 203 et 204) placent Emmanuel Macron en tête, dans des proportions importantes par rapport au reste de la ville (23,8 % et 26,2 % des électeurs inscrits).

Carte 2. Le vote Macron à l’échelle des bureaux de vote bisontins

La géographie du vote Macron est ainsi associée à un électorat plutôt favorisé, plus éduqué et mieux doté en capital économique que la moyenne de la ville. Les bureaux de vote ayant enregistré les tendances électorales les plus favorables à En marche sont, en effet, ceux marqués par la présence de populations disposant d’un niveau de formation supérieur au bac + 3 (r = 0,41), de professions intermédiaires (0,61), de cadres et professions intellectuelles supérieurs (0,58), et de propriétaires de leur logement (0,63). Les corrélations négatives confirment ce constat : les bureaux de vote ayant le moins soutenu Emmanuel Macron sont situés dans des zones marquées par la présence de populations non diplômées (r = – 0,56), au chômage (– 0,54), en contrats précaires (– 0,50) et locataires du parc HLM (– 0,56).

Si on le rapporte au scrutin de 2012, le vote Macron a été plus fort, en tendance, dans les bureaux de vote où François Bayrou a enregistré cinq ans plus tôt ses résultats les plus élevés (r = 0,63), même si, pour ces mêmes bureaux de vote, on enregistre également une forte tendance au vote Fillon en 2017 (0,66). Dans le même ordre d’idées, si les bureaux de vote qui ont voté le plus fortement pour Nicolas Sarkozy ont tendanciellement le plus voté pour François Fillon (0,89), ils présentent également une forte corrélation avec un vote en faveur d’Emmanuel Macron (0,71).

Le vote Macron n’apparaît donc pas comme un transfert du vote Hollande de 2012. Son implantation à Besançon trouve avant tout sa force au sein d’une population plutôt aisée, en situation d’emploi, et s’inscrit dans les zones de force d’un électorat centriste et/ou en provenance de la clientèle électorale de la droite de gouvernement.

La France insoumise du centre-ville, en écho dans les quartiers populaires

Arrivé deuxième, le candidat de la France insoumise renouvelle, en l’amplifiant, une implantation géographique qui se dessine assez nettement depuis 2012 (carte 3). L’assise électorale de Jean-Luc Mélenchon est d’abord constituée par les quartiers du centre-ville, à l’intérieur de la boucle du Doubs et du quartier Battant : s’y trouve une population jeune, active, mais également très mixte socialement et présentant une grande proportion d’étudiants (28 % de la population du quartier Battant en 2015). Dans les bureaux de vote de ces zones, J.‑L. Mélenchon obtient des avances comprises entre 3 et 10 points sur Emmanuel Macron, qui y arrive systématiquement second. À ce noyau dur, où entre 21,7 % et 32 % des inscrits accordent leur vote à la France insoumise, on peut ajouter une implantation, un peu moins importante (entre 18 % et 21,7 % des inscrits), dans des quartiers populaires de grands ensembles, marqués par l’histoire ouvrière de la ville et le militantisme de gauche, catholique et syndical (Palente) mais également des quartiers populaires moins liés à cette histoire politique locale (Clairs-Soleils, Planoise) [9]. Quelques quartiers plus aisés qui constituent les zones les plus acquises à Emmanuel Macron (Tilleroyes, le sud du quartier Bregille, Chasnot et Rotonde dans le quartier Chaprais) accordent des niveaux similaires de suffrages à Jean-Luc Mélenchon.

Carte 3. Le vote Mélenchon à l’échelle des bureaux de vote bisontins

Si le vote Mélenchon apparaît ainsi fortement enraciné dans deux types de quartiers, une incertitude demeure sur la base sociale de cet électorat. D’un côté, le soutien d’une population jeune, active ou étudiante, semble acquis : on l’identifie dans les bureaux de vote présentant de fortes proportions d’électeurs entre 18 et 24 ans (r = 0,52), étudiants et stagiaires rémunérés (0,48), locataires du parc privé (0,49) ou bien ayant un diplôme supérieure à bac + 3 (0,48) [10]. D’un autre côté, si l’enracinement du vote en faveur de la France insoumise dans les quartiers populaires est indéniable, son avance est souvent courte face à ses concurrents : Emmanuel Macron et/ou Marine Le Pen le talonnent la plupart du temps. Cette adhésion plus partielle des populations de ces quartiers se confirme à la lecture des corrélations : on constate des corrélations négatives dans les bureaux de vote situés dans les quartiers aux plus fortes proportions de CAP–BEP (– 0,52), d’employés (– 0,42) et d’ouvriers (– 0,40), même si ce panorama est relativisé par une corrélation positive avec la présence de salariés précaires (0,37). On ne retrouve donc pas à Besançon l’ancrage populaire du vote Mélenchon observé dans d’autres villes de ce dossier. Pour aller plus loin, il conviendrait de préciser, au sein des zones d’influence extérieures au centre-ville, le type de population mobilisée par la France insoumise, ce que nous ne pouvons pas faire ici. Cette prudence s’impose d’autant plus qu’il est important de ne pas sous-estimer la diversité sociale des grands ensembles (Gilbert 2011) qui peuvent abriter des habitants aux trajectoires et aux comportements politiques composites. Les scores élevés obtenus dans les quartiers populaires de Besançon ne signifient donc pas que les ouvriers et employés, les locataires des logements HLM et les non diplômés qui y résident soutiennent massivement Jean-Luc Mélenchon.

Un « vote de classe » à droite

Les deux candidats de droite ont, rappelons-le, obtenu des scores inférieurs de 1,5 point (François Fillon obtient 18,5 % des suffrages exprimés) et de 7,5 points (Marine Le Pen obtient 10 %) par rapport à leurs résultats nationaux. La géographie de ces deux votes minoritaires (cartes 4 et 5) indique deux logiques. D’une part, malgré des résultats peu élevés, le Front national obtient ses scores les plus élevés dans les quartiers où se concentrent des difficultés économiques (Rosemont et Risier [11] au sud de Saint-Ferjeux ; une partie des quartiers de Planoise, Montboucons et Orchamps ; Parc des Chaprais dans le quartier Chaprais–Cras). Les bureaux de vote ayant tendanciellement le plus soutenu Marine Le Pen sont ainsi ceux dans lesquels sont surreprésentés les titulaires d’un CAP–BEP (r = 0,75), les employés (0,60), ouvriers (0,70) et retraités (0,45), et les personnes installées depuis plus de 10 ans dans leur quartier (0,41). Par contraste, le FN est le plus faible dans les bureaux de vote regroupant les plus grandes proportions de bac + 3 (– 0,74), de cadres et professions intellectuelles supérieures (– 0,61) et d’indépendants (– 0,70).

Carte 4. Le vote Le Pen à l’échelle des bureaux de vote bisontins

Cette géographie du vote FN, qui recoupe en partie les zones de force du vote Mélenchon (notamment à Planoise, Palente, Rosemont), présente, d’autre part, un contraste saisissant avec le vote en faveur de François Fillon. En effet, le candidat Les Républicains enregistre ses meilleurs scores dans les quartiers les plus aisés de la ville (Mouillères, Helvétie et le nord du quartier Chaprais–Cras, Velotte, Bregille, Rue de Vesoul ou Torcols dans le quartier Saint-Claude), zones où le FN enregistre ses plus mauvais résultats. Les enracinements électoraux de Fillon et de Le Pen apparaissent ainsi fortement contrastés : par exemple, dans le bureau de vote n° 505, situé dans le quartier aisé au sud de Chaprais–Cras, l’enracinement fort du vote en faveur de François Fillon (33,3 % des électeurs inscrits) s’accompagne d’un vote de seulement 3,7 % en faveur de Marine Le Pen [12]. De manière générale, l’enracinement du vote Fillon est essentiellement faible au sud de la ville (Planoise, Chateaufarine), au centre-ville et surtout dans le quartier Battant.

Carte 5. Le vote Fillon à l’échelle des bureaux de vote bisontins

Ce clivage spatial est associé à une différenciation sociale des votes à droite, qui semblent se partager entre un électorat LR essentiellement situé dans les zones aisées, et un électorat FN plus populaire : ainsi, les bureaux de vote accordant le plus leur soutien à François Fillon regroupent des parts importantes d’électeurs ayant au moins un bac + 3 (r = 0,53), de cadres et professions intellectuelles supérieurs (0,73), et de propriétaires de leur logement (0,54). Les corrélations négatives confirment ce constat : les bureaux de vote présentant de fortes proportions de chômeurs (– 0,61), de sans-diplôme (– 0,60) et de locataires du parc HLM (– 0,64) ont tendanciellement moins soutenu François Fillon. Les votes à droite semblent donc structurés par un vote de classe. La partition entre un électorat « populaire » et un électorat « aisé » peut essentiellement se repérer à droite, entre le FN et Les Républicains, et par extension avec le vote en faveur d’Emmanuel Macron, tandis que les tendances observées dessinent un électorat plus mixte pour Jean-Luc Mélenchon.

Peut-être tient-on là une clé d’explication de la progression spectaculaire du candidat de la France insoumise. Son enracinement dans la population jeune et active du centre-ville et, dans le même temps et dans une moindre mesure, dans des quartiers populaires, lui a permis de mobiliser un électorat plus hétéroclite et plus nombreux qu’en 2012. Jean-Luc Mélenchon a donc concurrencé Marine Le Pen dans les zones lui étant plutôt favorables, tout en s’appuyant sur un électorat proche, sur un point central, de celui d’Emmanuel Macron : le niveau de diplôme élevé [13]. Pour approfondir cette analyse, il conviendrait de distinguer le poids respectif de l’électorat des quartiers populaires et celui des jeunes diplômés du centre-ville dans la progression de la France insoumise, et de distinguer également la différenciation des électeurs de Jean-Luc Mélenchon au sein même des quartiers populaires en termes d’âge, de diplôme et de situation. S’il reste dans la ville de Besançon dominé d’une courte tête par Emmanuel Macron, cette progression n’en demeure pas moins un fait marquant du premier tour de scrutin.

La fin du PS et l’isolat bisontin

À Besançon, le scénario des « deux gauches irréconciliables » semble donc se réaliser : E. Macron et J.‑L. Mélenchon s’arrogent des parts égales de l’électorat, aux contours sociologiques toutefois différents, tandis que les partis de droite, distanciés, conservent des assises beaucoup plus faibles et spécialisées dans les populations aisées (pour LR) ou plus précarisées (pour le FN). Cet affrontement aura donc fait un dommage collatéral : la disparition quasi totale du PS, saisissante au vu de l’ancrage historique du vote en faveur de ce parti à Besançon, tant municipal que national, et de la présence d’une députée proche du candidat Hamon sur le territoire. Avec 4 326 voix, le candidat investi par le PS et soutenu par Europe Écologie–Les Verts obtient le même score, à quelques voix près, que François Bayrou en 2012, et se trouve totalement disqualifié, loin derrière le duo de tête, avec 2 000 voix de retard sur le FN.

Carte 6. Le vote Hamon à l’échelle des bureaux de vote bisontins

L’effondrement du PS est d’ailleurs le seul élément que partagent la situation électorale de Besançon et celle du département du Doubs. Sur tout le reste, le contraste entre le département et sa préfecture est saisissant : Marine Le Pen arrive en tête (23,5 %), devant Emmanuel Macron (22,5 %) et François Fillon (20,9 %), Jean-Luc Mélenchon n’obtenant que 17,9 %. Besançon, ville moyenne, forme ainsi une sorte d’archipel où s’affrontent deux courants (En marche et la France insoumise), dans un département dominé par le FN dans le nord (bassin industriel de Montbéliard et zones rurales) et par Les Républicains dans l’est, le long de la frontière suisse. Le théâtre bisontin des deux gauches irréconciliables apparaît ainsi comme un isolat dans une France de l’Est dominée par la droite et l’extrême droite.

Annexe 1. Quelques précisions méthodologiques

Comme l’ensemble des articles de ce dossier thématique « Élection présidentielle : le vote des grandes villes françaises au microscope », les analyses proposées par les auteurs sont appuyées sur des cartes réalisées par Christophe Batardy (ingénieur d’études CNRS – UMR ESO) à l’échelle des bureaux de vote [14]. Les fonds de carte des bureaux de l’ensemble des villes au sommaire du dossier ont été produits grâce au travail d’actualisation de la base de données CARTELEC mené par Céline Colange (ingénieure de recherche CNRS – UMR IDEES). En complément de ces cartes, les auteurs ont pu mobiliser une matrice des corrélations statistiques (annexe 2) entre les comportements électoraux au premier tour du scrutin présidentiel de 2017, les votes observés au premier tour de la présidentielle de 2012 (de manière à pouvoir resituer politiquement les résultats), et quelques variables socioéconomiques diffusées par l’INSEE (de manière à pouvoir éclairer sociologiquement les résultats). Le problème d’inadéquation entre ces trois fonds de carte (découpage des bureaux en 2017, tracé des bureaux en 2012, périmètre des IRIS de l’INSEE en 2014) a été résolu par la ventilation de l’ensemble des données dans la maille spatiale des bureaux millésimés 2017, en s’inspirant de travaux développés dans le cadre de l’ANR CARTELEC (Beauguitte et Colange 2013) [15]. La production des matériaux cartographiques et statistiques a été coordonnée par Jean Rivière.

Annexe 2. Matrice des corrélations

Bibliographie

  • Anquetin, V. et Cuny, C. 2016. « La “parole des habitants” sous contrôle ? Compétition politique et participation citoyenne à Besançon et à Strasbourg », Métropoles, n° 19.
  • Béal, V., Epstein, R et Pinson, G. 2015. « La circulation croisée. Modèles, labels et bonnes pratiques dans les rapports centre-périphérie », Gouvernement et action publique, vol. 3, n° 3, p. 103‑127.
  • Béal, V. et Rousseau, M. 2008. « Néolibéraliser la ville fordiste », Métropoles, n° 4.
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  • Bordet, G. 1998. La Grande Mission de Besançon, janvier‑février 1825. Une fête contre-révolutionnaire, néo-baroque ou ordinaire ?, Paris : Cerf.
  • Borraz, O. 1998. Gouverner une ville. Besançon (1959‑1989), Rennes : Presses universitaires de Rennes.
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  • Gilbert, P. 2011. « “Ghetto”, “relégation”, “effets de quartier”. Critique d’une représentation des cités », Métropolitiques, 9 février.
  • Gourgues, G. 2017. « Occuper son usine et produire : stratégie de lutte ou de survie ? La fragile politisation des occupations de l’usine Lip (1973‑1977) », Politix, n° 117, p. 121‑146.
  • Hatzfeld, N. et Lomba C. 2008a. « Unité ouvriers–étudiants : quelles pratiques derrière le mot d’ordre ? Retour sur Besançon en 1968 », Savoir/Agir, vol. 6, n° 4, p. 41‑48.
  • Hatzfeld, N. et Lomba, C. 2008b. « La grève de la Rhodiacéta », in D. Damamme, B. Gobille, F. Matonti et B. Budal (dir.), Mai‑juin 68, Paris : L’Atelier, p. 207‑221
  • Ponçot, B. 2017. « L’engagement anticolonialiste précoce et intense des étudiants de Besançon », Vingtième Siècle, vol. 2017/2, n° 134, avril‑juin, p. 85‑99.

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Pour citer cet article :

Guillaume Gourgues, « Besançon, théâtre des gauches irréconciliables », Métropolitiques, 11 mai 2017. URL : https://metropolitiques.eu/Besancon-theatre-des-gauches.html

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