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Débats

À la recherche du modèle économique du logement social

Il est difficile de réfléchir au modèle économique du logement social sans tenir compte à la fois de ses spécificités par rapport au reste du secteur et de son rôle élargi dans la société. Pourtant, l’économie du logement, qui pèse 23 % du PIB, est méconnue. L’évaluation des retombées sociétales du logement social reste, quant à elle, à mener. Un travail approfondi s’impose donc sur ces deux sujets pour réfléchir au modèle du logement social.


Dossier : Les nouvelles politiques du logement


Toute institution doit s’adapter à l’évolution des attentes sociales et du contexte économique du pays : le logement social n’est pas exonéré de cette exigence. Mais, alors que certains acteurs s’interrogent avec des intentions honnêtes (comment renforcer l’efficacité du logement social, mieux répondre aux besoins, limiter la dépendance aux fonds publics ?), d’autres ont des pensées nettement moins pures : comment pourrions-nous tirer profit de ces quatre millions et demi de logements ? D’un côté comme de l’autre, les approximations voire les erreurs grossières sont souvent de mise. Il paraît donc indispensable de connaître et d’évaluer ce modèle, en choisissant les bons critères et en le situant dans l’ensemble plus vaste de l’économie du logement.

Un modèle économique au service d’un modèle social

Au regard de quels critères évaluer l’efficacité et la pertinence du modèle économique du logement social ? La réponse est délicate. Évaluer la valeur créée est une tâche nécessaire mais difficile dès lors qu’il ne s’agit pas simplement de dégager un profit financier le plus élevé et le plus immédiat possible, mais de remplir une mission sociale et d’appui au développement du pays. La valeur créée est individuelle pour chaque ménage concerné qui trouve à se loger et à s’épanouir, et économise de l’argent. Elle est collective pour la nation, composée d’effets sociaux, sociétaux, économiques et environnementaux. Il s’agit aussi d’une composante essentielle de l’aménagement du territoire, de l’équilibre et du développement des territoires aux différentes échelles.

En face de cette valeur composite et complexe, les politiques du logement ont un coût, qui mérite également d’être mieux connu. Pour ce qui est des pouvoirs locaux, en l’absence de « compte logement » des collectivités, on sait seulement que leur effort global a beaucoup augmenté. Quant à l’État, on ignore souvent qu’il aide tous les types de logement. Toutes aides de l’État confondues (aides à la pierre, aides fiscales, aides à la personne), le secteur locatif social reçoit 30 % des aides, les propriétaires occupants 29 % et le secteur locatif privé 41 %. Or, il n’y a guère d’études comparant l’efficacité de la dépense publique entre ces différents secteurs. Même la Loi organique relative aux lois de finance (LOLF), qui prétend légitimement mesurer l’efficacité des aides de l’État, ne fournit pas d’indicateur d’efficacité des aides fiscales au logement, dont l’essentiel est délivré à guichets ouverts, et qui ont connu ces dernières années une « croissance naturelle » de 10 % par an.

Un horizon temporel long

Se concentrer sur les spécificités du modèle économique du logement locatif social et de son financement suppose de revenir sur les particularités de ses acteurs. Par rapport aux autres opérateurs du « marché du logement locatif » [1], les organismes HLM se caractérisent par un horizon temporel long et par l’absence de dimension « spéculative » dans leur gestion : le moteur de leur développement n’est pas basé sur la recherche de plus-values patrimoniales, ni sur la distribution des profits.

Cet horizon temporel long (au moins 40 à 50 ans) permet l’existence d’opérateurs qui allient dans la durée la propriété, la construction et la gestion locative des logements : notre système permet à la France de loger des ménages relevant du Droit au logement opposable (Dalo) dans des immeubles de la ceinture HLM construits entre 1910 et 1930 ! Cela permet une « péréquation générationnelle » : les loyers des locataires des logements plus anciens permettent d’en préserver la qualité et d’apporter une partie du financement pour la réhabilitation lourde ou la construction des nouveaux logements. En ce sens, le parc social s’auto-entretient et s’auto-alimente ; il est « productif ».

Ensuite, les organismes HLM ne « jouent » pas avec le marché de l’immobilier en spéculant sur la valeur marchande de leur patrimoine. Cette conduite évite de lourdes désillusions et des faillites en cascade. Si la vente HLM peut être un moyen de favoriser l’accession sociale à la propriété ou si elle peut contribuer à une gestion fluide du patrimoine, la « valeur » du parc HLM n’est pas une valeur de marché. C’est la valeur associée à ce qu’il permet de faire : proposer des loyers bas !

Une sécurisation de l’ensemble des acteurs

Un tel mécanisme est rendu possible par la capacité de la Caisse des dépôts et consignations à apporter des financements à très long terme, grâce à la transformation d’une partie des fonds déposés sur les livrets A qui mobilise l’épargne populaire. Les épargnants sont rassurés par la garantie de l’État. La Caisse des dépôts et consignations qui prête ces fonds est également exposée à un risque quasi nul grâce à la garantie apportée par les collectivités locales ou la Caisse de garantie du logement locatif social aux prêts contractés par les organismes HLM.

Les locataires du parc social, quant à eux, n’ont pas à redouter la fin de leur bail ni les hausses de loyer liées au renouvellement de leurs baux. Ils occupent des logements généralement très bien entretenus.

Les organismes HLM et les locataires, enfin, sont sécurisés par le versement de l’aide personnalisée au logement (APL) qui solvabilise près de 50 % des locataires du parc social. La coexistence d’aides à la pierre (subventions publiques destinées à créer et développer un parc aux loyers modérés, y compris le fait que la construction d’un logement social bénéficie de la TVA à 5,5 %) et d’aides à la personne (aides aux familles aux revenus modestes pour participer au financement de leur loyer, dans le parc public comme dans le parc privé) est une caractéristique du modèle français du logement social. Leur juxtaposition, permet de concilier l’adaptation en continu des dispositifs aux revenus des ménages et aux contraintes de finances publiques.

Dans ce cadre, la capacité à mobiliser tous les acteurs a permis d’augmenter le niveau de production de nouveaux logements sociaux : les mises en chantier sont, par exemple, passées de 51 000 en 2005 à près de 92 000 en 2010. Cet accroissement de la production est d’autant plus remarquable que, sur la période, les coûts unitaires de production ont beaucoup augmenté (de près de 75 % !) en conséquence de la hausse des coûts du foncier et de l’impact de l’intégration de normes techniques plus élevées. Si elles permettront de diminuer les charges d’énergie dans les années à venir, les nouvelles normes se traduisent par un surcoût à la construction.

Des incertitudes économiques, financières et institutionnelles

Mais ce modèle touche ses limites. Même si la production s’accélère, le nombre de demandes demeure important. En outre, le niveau des loyers de sortie est considéré comme trop élevé pour répondre à la demande des ménages les plus modestes. Surtout, de nombreuses incertitudes pèsent sur ce secteur.

D’abord, les prêts de la Caisse des dépôts et consignations constituent, on l’a vu, un élément fondamental de l’équation économique permettant d’obtenir des loyers bas. Cette situation n’est pas acquise. D’une part, les fonds centralisés auprès de la Caisse des dépôts servent à d’autres usages (le financement d’infrastructures, des hôpitaux, de l’université). D’autre part, les banques, désormais autorisées au même titre que La Poste ou les Caisses d’Épargne à collecter le Livret A, cherchent à en conserver une large part pour assurer leurs liquidités et leur capacité à prêter aux entreprises.

Ensuite, la capacité de l’État et des collectivités locales à maintenir leurs aides n’est pas acquise. Celle des organismes à autofinancer leur développement est aussi écornée par le récent prélèvement mis en place sur leurs ressources.

Un déficit de travaux de recherche

Ce panorama très schématique des difficultés et des incertitudes amène à chercher les voies d’une plus grande efficacité. Or, peu d’économistes acceptent d’approfondir vraiment l’analyse des rouages du secteur. La commission Stiglitz l’a souligné : les bénéfices sociaux du logement social sont identifiés, mais mal mesurés. Des travaux comme ceux de la Fondation Abbé Pierre sur les effets du mal-logement, les conséquences des expulsions, les effets de la cherté du logement sur les familles, l’effet « génération perdue » induit par les quartiers en difficultés, aident à objectiver les effets du « bien-logement ».

Les effets économiques et territoriaux de l’activité du logement social doivent aussi être mesurés. Le plus évident est celui de la commande : les milliards d’euros d’investissements des organismes liés à l’amélioration, l’entretien, le développement du parc de logements sociaux créent de l’activité économique et des emplois non-délocalisables. Le retour économique direct de l’argent public mis sur la table est d’autant plus élevé que l’effet de levier de l’endettement est important : le territoire bénéficie des retombées d’une activité économique qui sera en fait payée plus tard via les loyers et non par les budgets publics.

D’autres effets sur le développement territorial méritent d’être explorés. L’effet d’entraînement des projets de construction n’est pas le moindre : apporter du logement, de la population, c’est développer l’économie résidentielle. Ce sont aussi 76 000 emplois dans les organismes, directement utiles à la population, sans être à la charge de la collectivité puisque le fonctionnement des HLM n’est pas subventionné. Et en logeant des ménages à revenus modestes (qui épargnent moins) à des prix bien inférieurs à ceux du marché, le logement social dégage du pouvoir d’achat pour la consommation locale. Cela prévient aussi les difficultés des ménages qui grèvent les budgets sociaux des départements ainsi que l’APL.

L’« effet attractivité » joue également : la présence de logements pouvant accueillir la main d’œuvre participe à l’offre territoriale pour l’accueil des entreprises : on ne compte plus les exemples d’entreprises qui renoncent à s’implanter ou à se développer dans des territoires où le coût du logement agit comme un repoussoir pour les éventuels candidats à l’embauche – le MEDEF lui-même tire la sonnette d’alarme [2]

Enfin, l’effet « outil des politiques publiques » est difficile à mesurer, mais suffisamment important pour être objectivé. Via les organismes HLM qui les possèdent pour son compte, la collectivité s’est constitué un patrimoine de quatre millions et demi de logements qui non seulement remplissent leur objectif social, mais encore financent la production, là où la collectivité le demande, pour le type de logements qu’elle souhaite afin d’y loger les populations qu’elle désigne. Certes, la collectivité commet des erreurs, mais comme il n’y a pas d’aides à guichet ouvert, le risque d’un investissement inutile et coûteux est bien moindre que lorsque les « défiscaliseurs » mènent le bal.

Le logement social ne constitue pas un isolat mais une partie intégrante du secteur du logement ; or c’est toute la chaîne du logement dont l’efficacité est en question. Lorsque les États généraux du logement proposent de revisiter toutes les aides publiques au regard de leur efficacité économique et sociale, il s’agit bien de repenser le modèle économique de tout le secteur du logement et pas seulement celui du logement social. Quand on sait que le logement représente 23 % du PIB, c’est plus que légitime !

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Pour citer cet article :

Dominique Dujols & Dominique Hoorens, « À la recherche du modèle économique du logement social », Métropolitiques, 28 septembre 2011. URL : https://metropolitiques.eu/A-la-recherche-du-modele.html

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