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Débats

Vers un impôt local sur les revenus ?

Après le vote de la loi de finances 2011, Philippe Laurent, maire de Sceaux et président de la commission des finances de l’Association des Maires de France, revient sur les évolutions de la fiscalité locale en France, en particulier la suppression de la taxe professionnelle. Il dénonce la perte d’autonomie des collectivités qui en découle. Il alerte également sur les effets indirects que l’assise quasi exclusive du nouveau système sur la base foncière pourrait avoir, augmentant la dépendance, les inégalités et la cyclicité des ressources locales.

La gestion des collectivités locales françaises connaît depuis deux ans d’importants changements, dont on n’a probablement pas encore mesuré toutes les conséquences, notamment sur le plan fiscal.

Depuis près de trente ans, grâce à la taxe professionnelle et au dynamisme de l’évolution de son assiette, les collectivités territoriales ont su à la fois assumer les transferts de compétences de l’État, l’extension du service public local et un niveau élevé d’investissement, sans dégrader leurs équilibres et sans recourir exagérément à l’endettement. La réforme portant suppression de cette taxe, votée après de longues discussions fin 2009 par le Parlement – et revue dans ses détails lors de la loi de Finances pour 2011 -, bouleverse les équilibres du financement de l’action publique locale. Les ressources de substitution instituées par ladite réforme sont constituées par la contribution foncière économique (CFE) pour le bloc communal, par la contribution à la valeur ajoutée des entreprises pour les trois niveaux de collectivités (municipalités, départements et régions), par les « impositions forfaitaires pour les entreprises de réseau » (IFER) pour le bloc communal et les départements et enfin par les dotations d’État pour le solde.

Une assiette fiscale et une absence d’autonomie problématiques

Ces ressources de substitution connaîtront sans doute, sur une longue période, une dynamique d’assiette plus faible que celle de feu la taxe professionnelle. Le caractère « cumulatif » de celle-ci l’assimilait en effet à un impôt de stock dont l’assiette augmentait en permanence. Les recettes de substitution sont davantage assises sur des flux.

En outre, les départements et, surtout, les régions, se voient privés d’une partie importante de leur pouvoir fiscal. L’importance prise dans leurs nouvelles recettes par la contribution à la valeur ajoutée à la production, dont le taux est fixé par la loi au niveau national marque un recul important de l’autonomie fiscale locale. Cela entraîne ipso facto un recul de l’autonomie de décision des collectivités locales. Dans un pays à l’État unitaire imprégné de la culture d’une hiérarchie centralisée, opposée à celle du partenariat, la négociation est par exemple inenvisageable sur le niveau d’impôts nationaux partagés, comme cela est obligatoirement le cas dans les pays à structure fédérale.

Il en résultera sans aucun doute, dès les prochaines années, un affaiblissement de la capacité d’action des niveaux départementaux et régionaux, leur interdisant de prétendre être de véritables acteurs des politiques urbaines. Ils seront de fait cantonnés à la gestion de prestations sociales, d’équipements ou d’offres de formation. Cette évolution est du reste encouragée par la réforme des collectivités territoriales récemment votée par le Parlement qui remet en question le bénéfice de la clause de compétence générale, ajoutant l’impossibilité juridique à agir dans différents domaines essentiels de l’action publique à l’étouffement financier résultant de la privation de l’autonomie fiscale.

Des ressources locales réduites aux taxes foncières

Par contre, les communes, agglomérations et métropoles voient leur pouvoir fiscal pratiquement préservé. Elles continueront de détenir la « compétence générale ». Elles seront donc, davantage qu’aujourd’hui, les véritables actrices des politiques d’aménagement urbain, avec leur volet foncier. Mais il faut noter que le vaste mouvement de « reclassement » des impôts locaux conduira la fiscalité communale et intercommunale à être assise pour 90 % sur des bases foncières, alors que cette proportion n’était que de 69 % avant la réforme. Autrement dit, les collectivités qui ont conservé leur pouvoir fiscal ne pourront le faire jouer que quasi exclusivement sur des bases foncières. Il en résultera pour elles une grande stabilité des recettes et une relative insensibilité à la conjoncture. Mais la conséquence en sera aussi probablement une tendance à la hausse de la taxation foncière, puisque c’est la seule marge de manœuvre disponible et qu’on ne peut pas exclure une progression des besoins budgétaires non couverte par l’évolution des autres ressources locales, comme les dotations d’État qui, au mieux, stagneront à l’avenir.

Dès lors, on comprend aussi l’enjeu essentiel qui s’attache à une révision en profondeur des valeurs locatives, assiette de la taxe foncière (et de la taxe d’habitation). Cette vaste entreprise est extrêmement périlleuse, tant la situation actuelle recèle d’anormalités et de transferts potentiels entre contribuables. Prudemment, le gouvernement propose de commencer par la révision des trois millions de locaux commerciaux et industriels – et d’abord en expérimentant sur quelques départements - avant de s’attaquer aux quelques 40 millions de logements. On pressent déjà l’effet « explosif » du cocktail révision + hausse des taux d’imposition sur plusieurs millions de contribuables !

Vers un impôt local sur le revenu ?

Quoi qu’il en soit, ce nouvel équilibre du financement de l’action publique locale, reposant quasi exclusivement sur le foncier, trouvera ses limites et obligera à des mécanismes de plus en plus puissants de péréquation, ne serait-ce que parce qu’il avantage outrageusement certains territoires, par exemple les zones résidentielles à prix des logements (et donc des valeurs locatives) élevés. On ne peut pas non plus exclure la tentation pour le pouvoir central, sous l’effet des puissants lobbies des propriétaires immobiliers, d’encadrer par la loi la variation des taux des taxes foncières votés par les assemblées locales, ruinant encore davantage leur autonomie fiscale et achevant la mise au pas des collectivités locales, avec des conséquences néfastes à long terme sur le développement des territoires et les solidarités locales.

Mais le pire n’est jamais totalement certain. Il est à peu près sûr que, compte tenu du poids qu’elles ont acquis dans l’action publique et de la nature de leurs interventions, les collectivités devront un jour ou l’autre trouver une assiette complémentaire à l’assiette foncière. Même si c’est aujourd’hui un « gros mot », l’impôt local sur le revenu, quelle qu’en soit la forme, paraît à terme inéluctable. À moins que le pouvoir central ne décide définitivement de fermer la parenthèse de trente années de décentralisation.

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Pour citer cet article :

Philippe Laurent, « Vers un impôt local sur les revenus ?  », Métropolitiques, 15 décembre 2010. URL : https://metropolitiques.eu/Vers-un-impot-local-sur-les.html

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